Nissan BladeGlider: C'est à moi - non, c'est à moi!
Ça ne sera pas la première fois que des constructeurs automobiles s’affronteront sur l’appartenance d’un design ou d’une technologie. On n’a qu’à penser à la récente guerre que se sont livrée les Tesla/Fisker…
Cette fois, c’est le milliardaire Don Panoz, du haut de ses 78 ans, qui crie au “vol de propriété intellectuelle et d’informations confidentielles, de détournement de secrets industriels, de fraude et de fausse représentation.”
Oui, oui, on parle ici du Panoz qui a fait fortune dans le pharmaceutique – il est le père du timbre de nicotine – et celui-là même à qui l’on doit la Panoz Esperante.
Panoz, donc, accuse Nissan d’avoir clôné son DeltaWing – et lui ordonne, dans une poursuite déposée le 22 novembre à la cour de Georgie, de cesser de montrer, piloter ou vendre (!) quoi que ce soit arborant “son” design.
Pas encore de victoire… mais beaucoup d’encre
Le DeltaWing était, au départ, une tentative de Chip Ganassi Racing de devenir le châssis officiel de l’IndyCar en 2009, mais le design a été rejeté au profit de l’Italienne Dallara.
Pareille bibitte que certains comparent à une Batmobile (!) ne devait cependant pas être condamnée à s’empoussiérer dans le fond d’un atelier; une équipe, composée notamment du financier Panoz, en a racheté les droits afin d’attaquer… les 24 Heures Le Mans.
Nissan a été l’un des principaux commanditaires, avec de l’argent mais aussi avec un moteur quatre cylindres de 300 chevaux.
Certes, jamais le prototype n’a (encore) remporté de course.
Ni à sa participation aux 24 Heures Le Mans en 2012 (en classe expérimentale), une épreuve d’endurance qu’il n’a pu terminer à la suite d’une collision avec une Toyota Hybrid;
Ni au Petit Le Mans 2012 en banlieue d’Atlanta – mais où il a quand même terminé en 5e position. Pas mal pour un bolide de quatre cylindres qui jouait du coude avec des V6 turbos et des V8…
Mais même sans victoire, le DeltaWing a fait couler beaucoup d’encre. C’est que ses formes hyper-aérodynamiques réinventent un siècle de course automobile.
Rien de moins.
Ben Bowlby un jour, Ben Bowlby toujours…
À l’origine de ce design en triangle? Ben Bowlby qui, depuis, a été embauché comme directeur de l’innovation en course automobile… par Nissan.
Vous voyez l’imbroglio?
Depuis, ce même Ben Bowlby a mis au point un prototype de voiture de course électrique, la Nissan ZEOD RC.
Ou, si vous préférez: le Zero Emission On-Demand Race Car.
Personne ne peut nier: les formes non conventionnelles sont similaires à celles du DeltaWing.
C’est avec ce concept de voiture de course que Nissan entend prendre le départ du prochain 24 Heures Le Mans 2014 (toujours en classe expérimentale).
Et voilà que Nissan persiste et signe en dévoilant, en marge du salon de l’auto de Tokyo le mois dernier, son Nissan BladeGlider.
Il s’agit d’une autre création triangulaire de Ben Bowlby et que son constructeur affirme être sur le chemin de la production.
Pas de farce.
Comme un T-Rex… à l’envers
Le Nissan BladeGlider, c’est un peu comme notre T-Rex, mais à l’envers: mince calandre devant (à peine un mètre) et train arrière qui double presque de largeur.
Bref, un aérodynamisme indéniable, d’où son appellation qui fait référence aux lames tranchantes (Blade) et aux planeurs (Glider).
Cependant, là où le T-Rex n’a que trois roues, le Nissan BladeGlider en a quatre.
Et celles du devant sont bien peu orthodoxes: chaussées de pneumatiques 100/80 (c’est à peine 10cm de large, ça!), elles sont distantes l’une de l’autre d’à peine 60 centimètres.
La motorisation? Électrique, évidemment.
Mais ne cherchez pas l’organe propulseur sous le capot, puisqu’il n’y a pas de capot.
La propulsion prend plutôt la forme de moteurs indépendants logés dans les roues arrière. (Tiens donc: après Panoz, est-ce que ça sera au tour d’Hydro-Québec de poursuivre Nissan pour utilisation indue de sa technologie du moteur-roue?)
Nissan veut commercialiser!
Dans l’habitacle du Nissan BladeGlider, trois places: celle du conducteur en poupe à l’avant, les deux autres étant disposées derrière en delta.
Ce qui se traduit par 70% du poids au-dessus du train arrière propulseur. Très peu conventionnel, dans une industrie constamment à la recherche de l’équilibre.
Aucun poids n’a été annoncé, mais on se doute bien qu’avec une utilisation extensive de fibre de carbone, ça va jouer sous les 700 kilos.
Peut-être même encore moins, si on parvient à faire des miracles d’autonomie avec les batteries (au lithium-ion, bien sûr).
Pour le moment, pas de toit, pas d’espace cargo non plus.
Mais voilà qui n’empêche pas Nissan de vouloir révolutionner le monde des voitures sport en disant vouloir commercialiser quelque chose qui ressemble à ça.
Oooh non, dit Panoz!
Et ça a fait bondir Panoz.
Vrai qu’on ne peut nier la ressemblance du Nissan BladeGlider (et du Nissan ZEOD RC) avec le prototype DeltaWing dont Panoz s’attribue la paternité.
L’homme d’affaires soutient avoir investi des dizaines et des dizaines de millions de dollars afin de concevoir de la bête révolutionnaire, mais aussi de prouver qu’elle pouvait tenir le haut du pavé sur un circuit, malgré son architecture inhabituelle qui renverse un siècle de conception et d’expertise automobiles.
Et maintenant, son entreprise DeltaWing Garage 56 /Technologies, dont s’est retiré Nissan il y a moins d’un an, veut vendre des licences de cette même architecture aux grands constructeurs de ce monde.
D’où la poursuite.
Car pour Panoz, pas question de laisser Nissan faire courir – et encore moins vendre des voitures au design similaire à son DeltaWing sans verser une redevance.
En auquel cas, le tout deviendrait du domaine public et il n’y aura plus personne pour empêcher qui que ce soit de reproduire le clonage.
Est-ce qu’une entente hors cour surviendra entre Panoz et Nissan? Ou la cause sera vraiment entendue devant les tribunaux?
Gageons un petit deux sur la seconde option.
Car après tout, les enjeux sont énormes. Même que la publication Automobile Magazine parle “d’un génie sorti d’une bouteille qui peut rendre obsolète une génération entière de voitures de course”.
Ben Bowlby, lui, compare la démarche à “une course à la Lune”…