Nos Smart traversent au Cerle polaire!
Avouez, ce n'est pas tous les jours qu'on peut se targuer de conduire sur une rivière. Mais l'Arctique étant ce qu'il est, nous avons aujourd'hui plusieurs fois l'occasion de traverser des ponts de glace. Il faut voir ce convoi de sept Smart poser leurs pneumatiques sur la large bande glacée des cours d'eau, nichés entre les montagnes tout aussi blanches que désertiques. C'est carrément irréel.
D'ailleurs, ce périple aux confins de l'Océan Arctique est irréel en lui-même. Par exemple, vers 9h15 ce matin, nous assistons au plus beau spectacle que la Nature puisse offrir: alors que la pleine lune s'éleve au-dessus des pics neigeux qui bordent l'ouest, le soleil fait de même au-dessus des montagnes à l'est. Jamais nos photos ne rendront ce que nos yeux ont pu admirer là. Et si la lune n'était pas là pour nous éblouir, j'aurais franchement cru qu'on était en train d'y rouler, sur cette lune, tellement le paysage est loin de tout ce que l'on peut imaginer.
Ce qui surprend, c'est la taille des conifères qui nous accompagnent, tout au long des premiers 200-300 kilomètres sur la Dempster. Allez savoir pourquoi, on pensait qu'on allait rouler en pleine toundra, mais c'est plutôt la taïga qui règne, ici. À l'occasion, nous traversons des chaînes de montagne aux pics élancés et aux flancs escarpés qui se découpent de façon absolument sublime dans le ciel. À d'autres moments, c'est le désert blanc, blanc, tout blanc. C'est magnifique et Pierre, mon compagnon de route, confirme la chose en faisant de temps en temps résonner l'habitacle d'un vibrant "viande à chien".
La Dempster, complétée en 1979 et qui, depuis, relie Inuvik au reste du réseau routier canadien, n'est pas une route pour les fanfarons. D'ailleurs, nos organisateurs l'avaient dit: cette portion du voyage est la plus exigeante qui soit - au point où il nous a presque fallu l'annuler en raison d'une tempête qui faisait rage dans la région depuis plusieurs jours déjà. Les "pick-ups" ne passaient pas, alors imaginez des Smart...
Mais le temps s'est dégagé et nous y voilà. Sorte de très large chemin aménagé sur les sentiers autrefois empruntés par les équipages de traîneaux à chien, l'autoroute qui totalise 747 kilomètres jusqu'à Inuvik traverse la taïga, des cols de montagne venteux et plusieurs fois la rivière Peel. Sa surface de gravier est travaillée par des nivelleuses géantes qui lui insèrent des sillons, question de mieux faire adhérer les pneumatiques.
L'un des grands défis, pour nous conducteurs, est de ne pas trop rouler sur les flancs de la route. La neige compactée y kidnappe traitreusement les roues, ce qui entraîne alors la voiture dans une série de 360 degrés incontrôlables. Deux Smarts l'ont appris à leurs dépends et pour résumer la chose sans trop briser d'orgeuils masculins, disons simplement que le visage des rescapés étaient pas mal blancs et que leurs genoux étaient pas mal mous...
L'autre grand défi est la visibilité: toujours réduite, elle devient tout à coup, sous la force du vent, complètement nulle. Jamais plus je n'entendrai un bulletin de circulation parler de "visibilité rédite" sans me rappeler ces kilomètres parcourus au nord du Cercle polaire, alors que nous tentons de conserver une vitesse moyenne de 100km/h. Tâche guère facile, quand le vent fait s'élever la neige des congénères qui bordent notre trajet et qu'on se perd dans le brouillard blanc laissé par la Smart qui roule devant. On ne distingue alors plus rien, ni de la route, ni du ciel - au demeurant tout aussi blanc - et l'impression d'être seuls au monde est aussi saisissante que... tout à fait véridique.
Affirmer que la circulation est fluide sur la Dempster est un euphémisme. Une petite devinette pour vous: à votre avis, combien de véhicules avons-nous croisé sur une distance de 200km? Un seul. Nous n'avons croisé qu'un seul véhicule pendant plus de deux heures de route, en ce dimanche de fin janvier. Et alors que la nuit tombait à l'approche d'Inuvik, il nous a fallu plus de 15 kilomètres bien comptés pour finalement rejoindre le véhicule dont nous avions aperçu les phares tout au loin. "Amazing", comme disent mes compagnons de voyage.
Le parcours ne comporte pas grand point touristique - tout au plus un camping sauvage ici et là, et définitivement fermé en cette longue saison hivernale. À peu près en milieu de trajet, l'hôtel Eagle Plains accueille les touristes en mal de carburant - tant pour leurs véhicules que pour leurs estomacs. Bon, le sandwich chaud au roastbeef a l'air bien peu appétissant, mais l'endroit se rattrape avec une succulente soupe aux champignons et... quelques chefs-d'oeuvres d'animaux empaillés. Il ne manque qu'un air country et quelques joueurs de cartes autour d'une Molson tablette pour faire encore plus "trappeur des bois"...
Le moment fort de la journée reste cet arrêt au 403e kilomètre de la Dempster, point qui marque l'entrée au Cercle polaire. La simplicité de l'endroit étonne: une affiche, une table de pique-nique et un stationnement désert, soudain envahi par sept Smart et leurs véhicules de sécurité. Pas de démarcation physique sur le terrain, uniquement des montagnes et des arbres. Et de la neige et du vent. À perte de vue. Magnifique.
En traversant ce 66e parallèle, nous entrons dans la zone la plus au nord de la planète où l'on compte annuellement au moins une pleine journée sans lumière (30 jours par hiver à Inuvik, principalement en décembre) et une autre pleine journée sans que le soleil ne se couche jamais (56 jours sans nuit par été à Inuvik).
Curieusement, le froid au Cercle arctique n'est pas aussi craquant qu'escompté. Tout au plus notre Smart a enregistré un minimum de -23 degrés Celsius. Et -23 degrés secs, c'est nettement plus confortable que -10 degrés humides. Certes, ça donne du fil à retordre à nos portières qui éprouvent de plus en plus de difficultés à se refermer, mais si c'est là le seul problème que rencontrent nos voitures, ça en dit long sur leur solidité. Même les Smart qui ont malencontreusement visité des bancs de neige d'un peu trop près s'en tirent sans une égratignure, sauf un pare-choc amoché.
Enfin, la Dempster rejoint Inuvik. Notre odomètre indique 1300 kilomètres pile entre notre point de départ à Whitehorse et cette localité de 3500 habitants du 68e parallèle. Inuvik étonne par sa relative grande taille. On y compte une grande école en construction, un hôpital, plusieurs hôtels, un "North Mart" (en lieu et place d'un Walrmart) et, évidemment, la petite église toute blanche en forme d'Igloo (1958) qui fait sa renommée.
Parce que le ciel est couvert, nous n'apercevons malheureusement aucune des aurores boréales que l'on dit si magistrales, ici. De fait, nous ne voyons pas grand-chose d'Inuvik. Nous n'avons que 12 heures à passer dans cette ville établie à moins de 100 kilomètres de l'Océan Arctique. Avoir eu plus de temps - et d'énergie! - nous aurions pu pousser jusqu'à Tuktoyaktuk, rejoignable seulement l'hiver par la route de glace aménagée sur 180 kilomètres à même la MacKenzie gelée.
Mais le buffet et les oreillers de l'hôtel MacKenzie nous interpellent davantage - d'autant plus qu'il nous faut reprendre la route dès 7h demain matin, question de rentrer à Dawson avant minuit. Une autre grande journée de route nous attend au Cercle polaire!