À 120km/h sur la glace, y'en a pas de problème!
À 9h00 du matin, dans le Yukon, il fait encore sombe. Étrange, que d'admirer, si tard en matinée, la pleine lune se réverbérer sur les montagnes enneignées et les sapins tout blancs. Oui, oui, il y a encore des arbres, à la hauteur de Whitehorse. D'ailleurs,ça nous surprend. Car si on tirait une ligne directe vers l'est, cette ligne passerait tout en haut du Québec, là où règne pourtant en roi et maître la toundra arctique.
Avant de quitter notre hôtel de Whitehorse, ce matin, mon co-équipier de Smart, Pierre Michaud, et moi avons réussi notre premier miracle du voyage: faire tenir derrière nos sièges deux valises, trois bons sacs et une malette d'ordinateur. Bon, vrai que ça ferme juste, mais ça ferme et c'est ce qui compte!
Vos prières ont porté fruits: notre Smart les a, les sièges chauffants! Mais nous nous en servons à peine, aujourd'hui: le mercure a varié entre le -6 Celsius enregistré au départ et le plus froid maximum atteint, soit -20 degrés. L'air est sec et lors des pauses-vous-savez-quoi, nous prenons avec plaisir de grands bols d'air frais sous le soleil qui nous fait grâce de sa présence.
Je dis "sous" le soleil, mais c'est faux: Galarneau ici ne s'est jamais assez levé pour se trouver au-dessus de nos têtes. Il est resté en latéral, à l'horizon, et même qu'à midi, notre Smart projetait encore de grandes ombres sur la route. La "golden hour" nous a donc gâtés pendant plusieurs heures et les paysages absolument sublimes nous ont fait pousser des "Maudit que c'est beau" à tous les 2-3 kilomètres.
Nous roulons en convoi toute la journée avec, devant et derrière nos 7 Smart, des véhicules Mercedes de sécurité et d'urgence. Idéalement, nous ne devrions avoir affaire qu'au gros GL qui ouvre la marche, celui-là même qui recèle de quoi satisfaire nos estomacs. Mais si un pépin survenait, c'est sur le "G-wagon" militaire qu'il nous faudra compter. Paraît qu'il y a là-dedans de quoi nous tracter hors des bancs de neige, changer nos pneus crevés, voire nous installer de nouveaux pare-brise.
D'ailleurs, m'est avis qu'on aura sûrement une ou deux Smart sur le lot qui auront besoin de se refaire une beauté, côté pare-brise. En effet, le peu d'épandage effectué sur la route est constitué de... météores. C'est du moins l'impression que ça donne, quand ça frappe la vitre et que ça lui colle une belle étoile filante. Ne cherchez pas un Duro Vitres d'Autos ici!
Contrairement aux lancements de presse traditionnels où l'on nous bonifie d'un "road book" (du genre: à Xkm, tournez à droite, faites 20km, au stop tournez à gauche...), pas d'indications pour nous ici. Après tout, ce n'est vraiment pas le choix des routes qui nous étouffe! Aujourd'hui, nous empruntons le Klondike Highway jusqu'à Dawson, presque à la frontière de l'Alaska. Les 530 kilomètres de parcours prévus, nous les effectuons à une vitesse assez diligente, merci: jusqu'à 120km/h sur le pavé glacé. Les premiers tours de roues sont incertains, mais on s'y fait rapidement. Et vroum sur cet immense ruban soit enneigé, soit glacé, le volant fermement empoigné et les yeux qui scannent la route, à l'affut d'un caribou à qui lui prendrait l'envie de traverser devant. Tout au plus lève-t-on le pied au passage des quelques camions transportant des billots de bois et qui laissent, dans leur sillage, une aveuglante poudrerie de neige.
Étonnemment, malgré sa nature de citadine, la Smart garde le cap. Il faut dire qu'avec le poids de nos bagages, la petite voiture est bien assise sur ses roues motrices arrière. Aussi, pardonnez le cliché mais c'est vrai: la direction est d'une belle précision et elle nous mène là où on la pointe.
Le freinage? Allez savoir! Car ici, il n'est pas question d'appuyer sur la pédale des freins, sinon c'est le champ assuré. Pour ralentir, nous utilisons plutôt les commandes manuelles des vitesse qui se trouvent au volant. Ces dernières sont également fort pratiques pour faire révolutionner le moteur en montée et tirer un peu plus de puissance du petit moteur trois cylindres. Pour notre plus grand bonheur, nos petites roues (on nous a chaussés avec du Continental d'hiver) sont moins malmenées par les sillons du sol que ne le sont les plus gros pneumatiques des véhicules de sécurité.
Bref, la Smart aime le Grand Nord - et nous aussi, par conséquent.
C'est vers 15h30 - et alors qu'il fait encore clair - que notre convoi entre dans Dawson, petite ville de 1500 habitants qui a été le théâtre de la Ruée (manquée!) vers l'Or, en 1898. Les quelques rues bordées de bâtiments rappelant le Far West sont tout à fait désertes, au point où nous les traversons sans même regarder. "C'est comme ça que les Touristes se font tuer, ici," nous lancera-t-on... Le moment fort à Dawson est sans conteste ces quelques instants que nous avons passé à... rouler sur la rivière Yukon. Une avenue y a été aménagée, tel un pont de glace, et on s'en est donné à coeur joie avec les dérapages pleins d'allégresse.
Demain, nous empruntons une autre autoroute: la Dempster, la seule de tout le Canada à traverser le Cercle polaire. Ces derniers jours, la Dempster a été fermée à la circulation en raison d'un blizzard plus au nord, mais la tempête s'est calmée en fin de journée et les autorités devraient nous laisser passer. Un grand trajet nous attend: 780 kilomètres et cette fois, pas question de rouler à 120km/h. Tout au plus devrions-nous pouvoir atteindre les 80km/h.
Autrement dit, nous nous préparons à une bonne grande journée de 12-15 heures et nous commençons à comprendre pourquoi les gens d'ici nous traitent de fous. À la boutique Up North Adventures, à Whitehorse, le jeune Carson Close s'est carrément mis à rigoler lorsqu'on lui a expliqué notre périple. Il a cependant vite repris son sérieux lorsqu'il a vu à quel point nous, nous l'étions... Au Dawson City Museum, la préposée à l'accueil a tenu mordicus à nous rappeler, immenses cartes géographiques à l'appui, que c'était loin, Inuvik.
Certes, mais c'est pour ça qu'on est ici, alors permettez-moi de solliciter à nouveau vos prières pour que Dame Nature et la Dempster nous laissent passer. La Smart veut réellement traverser le Cercle arctique!