L'évaluation écrite: toujours de mise?
Pas l’temps!
Tant l’Office de la protection du consommateur (OPC) que la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec (CCAQ) admettent en effet que l’évaluation écrite, pourtant obligatoire pour toute réparation automobile de 100$ et plus, n’est pas systématiquement remise par les garagistes.
Loin de là.
Pourquoi? D’abord, par manque de temps. Il faut savoir que l’évaluation écrite, pour être valide, doit indiquer toutes, mais bien toutes les informations suivantes : le nom et les coordonnées du client; le nom et l’adresse du commerçant; la date et la durée de la validité du devis; la marque, le modèle et le numéro d’immatriculation du véhicule; la nature des réparations; s’il s’agira de pièces neuves, usagées ou remises à neuf; et, enfin, le prix incluant les taxes. Ouf!
Dans la vraie vie, le garagiste qui, par exemple, accueille plusieurs clients à l’ouverture de ses portes le matin, ne peut pas toujours inspecter sur le champ le véhicule à réparer. Et le client, lui, n’a souvent qu’une idée en tête: vite, vite, remettre les clés, pour mieux filer au travail.
Pieds et poings liés
Selon la loi, l’évaluation écrite doit être remise avant que ne débutent les travaux. Si l’évaluation pour un changement de freins peut être simple à rédiger, elle l’est beaucoup moins pour une transmission manuelle ou un différentiel défectueux. Même que dans de tels cas, le garagiste devra peut-être démonter quelques pièces afin de cerner le bobo.
Le hic, c’est que l’évaluation écrite lie totalement le garagiste.
Si ce dernier fixe la réparation à 1500$, mais qu’il découvre en cours de route qu’il lui faut plus de temps ou de pièces qu’escompté, il ne peut, en théorie, exiger davantage de la poche du client.
Le client en question est lui aussi lié par l’évaluation écrite. Le légendaire couteau à deux tranchants signifie pour lui que si la réparation demande moins de temps ou de pièces que prévu, c’est tant pis pour lui : il a accepté une entente forfaitaire et le garagiste n’est pas tenu de lui faire profiter des économies réalisées en chemin.
Les garagistes : « pas si tant pire »
L’évaluation écrite a fait son entrée sur le marché avec l’article 168 de la Loi sur la protection du consommateur il y a 30 ans. Au départ, elle visait évidemment à protéger le consommateur. « À l’époque, dit Frédéric Morin, directeur des affaires juridiques à la CCAQ, il n’existait rien du tout et le problème était criant : beaucoup de garagistes exploitaient les clients. »
À ceux qui disent que la situation n’a guère changé depuis, Me Morin réplique que le nombre de plaintes est peu élevé versus le nombre de réparations automobiles qui s’effectuent chaque année au Québec.
CAA-Québec tend à confirmer la chose : l’an dernier, l’association qui regroupe 950 000 membres et un réseau de 450 garages recommandés a reçu 350 plaintes. De ce nombre, « 40% étaient fondées et ont nécessité une enquête, » soutient Pierre Beaudoin, directeur principal des services techniques chez CAA-Québec. C’est moins d’une plainte pour trois établissements recommandés.
Bon an mal an, à l’OPC, la réparation automobile représente un petit 3% de tous les dossiers traités. Le tiers des plaignants déplorent l’absence d’une évaluation écrite ou son non-respect.
D’une obligation… à un droit
Reste que l’évaluation écrite, même obligatoire, n’est pas toujours honorée.
Pierre Beaudoin, de CAA-Québec, soutient que ce qui devait au départ protéger le consommateur en vient à pénaliser le commerçant : « Le garagiste qui veut respecter la loi se trouve pénalisé par une évaluation écrite, alors que cette dernière ne sert pas toujours le consommateur d’aujourd’hui. »
Des regroupements comme la CCAQ voudraient voir la procédure assouplie et adaptée au goût du jour. Déjà, il y a une décennie, la corporation souhaitait que l’obligation du commerçant de remettre une évaluation écrite devienne… un droit du client.
Ce droit pourrait alors être prôné sur cette grande affiche blanche qui doit être placée bien en vue chez le garagiste et qui indique justement, de concert avec le taux horaire, l’obligation d’une évaluation écrite.
Clients abuseurs…
Passer d’une obligation à un droit… Subtil jeu de mots, vous dites? Au contraire : la différence est monumentale.
À l’heure actuelle, le garagiste qui ne remet pas d’évaluation écrite est, d’abord et avant tout, passible d’amendes (600$ pour la personne morale et 300$ pour chaque personne physique impliquée). À ce chapitre, l’OPC avoue cependant qu’il y a fort longtemps qu’on n’a pas poursuivi un commerçant pour une telle accusation.
Surtout, le garagiste qui ne remet pas d’évaluation écrite perd son droit de retenir le véhicule – droit qu’il détient tant que le client n’a pas au moins versé la somme prévue à l’évaluation écrite. Autrement dit : sans évaluation écrite, le client peut s’en aller au volant de son automobile sans payer.
Par contre, l’évaluation écrite pousse certains clients bien informés à abuser de la situation. « J’en ai connu un qui magasinait les ateliers, raconte Me Morin. Il choisissait celui qui ne remettait pas d’évaluation écrite et, une fois la réparation terminée, le poursuivait pour non respect de la Loi sur la protection du consommateur. Ce gars-là a bénéficié d’un moteur et d’une transmission gratuite. »
Cochez oui, cochez non…
Si l’évaluation écrite cessait d’être une obligation du commerçant pour devenir un droit du client, c’est sur ce dernier que pèserait alors la responsabilité d’en demander une – ou pas.
« Dans les faits, soutient Me Morin, bon nombre de clients considèrent qu’ils n’ont pas besoin d’une évaluation écrite, notamment parce qu’ils ont établi une relation de confiance avec leur garagiste. »
Le problème, c’est qu’actuellement, le consommateur qui souhaite renoncer à une évaluation écrite ne doit pas se contenter d’apposer sa signature sur une facture.
Pour que sa renonciation soit légale aux yeux de la loi, il doit écrire tout du long, de sa main : « Je renonce à recevoir une évaluation écrite ». Puis, signer. « Voilà qui irrite le client, dit Me Morin, en plus de faire passer le garagiste pour un extra-terrestre. »
En transformant l’obligation en un droit, cette disposition de la Loi disparaîtrait. Par contre, qui protégerait l’infortuné consommateur?
CAA-Québec rejoint la CCAQ dans sa proposition d’ajouter, sur le bon de travail, une case « J’exige » et une autre « Je renonce ». Le client serait alors invité à y inscrire ses initiales. En cas de doute, il l’exigera, l’évaluation écrite.
… ou cochez combien
Une autre case pourrait indiquer le montant maximal à ne pas dépasser pour une réparation donnée sans avoir obtenu l’autorisation verbale ou écrite du client. Question de ne pas donner un chèque en blanc, bien sûr.
D’ailleurs, la Loi prévoit actuellement que si le garagiste découvre un autre problème mécanique que celui pour lequel l’évaluation écrite a été préparée, il doit communiquer avec le client afin d’obtenir son autorisation.
Si le client n’est pas sur place, un acquiescement verbale est tout à fait conforme, à condition d’en indiquer la date, l’heure, le numéro composé et le nom de la personne au bout du fil.
Saveur 2012?
Bref : « Nous ne sommes pas en désaccord avec l’évaluation écrite, bien au contraire, affirme Me Morin, de la CCAQ. Mais nous souhaitons que la procédure soit améliorée. Après tout, le consommateur d’aujourd’hui n’est pas celui des années ’70 : il connaît mieux ses droits, il est à l’affût des nouvelles technologies et il possède des connaissances approfondies. Même au niveau automobile. »
Ce à quoi l’OPC répond que si l’évaluation écrite demeure encore aujourd’hui un outil qui protège tant le commerçant que le consommateur, « rien n’empêche d’en revoir les dispositions, » dit le porte-parole, Réal Coallier.
Ce dernier admet qu’en 30 ans, les temps ont bien changé : « Si le législateur révise le chapitre de la réparation automobile, conclut-il, il consultera nécessairement l’industrie afin de lui donner une saveur plus « 2010 ». »
Quand on n’est pas certain…
Pas certain que votre garagiste vous propose la bonne réparation? Vous en trouvez la facture salée? Le département des services-conseils de CAA-Québec peut vous venir en aide.
En effet, ses techniciens peuvent fouiller pour vous dans leurs bibles automobiles, consulter leurs manuels de référence et utiliser divers outils informatiques pour vous rassurer – ou pas – sur le prix des pièces et le temps requis pour leur installation.
CAA-Québec en profitera pour vous rappeler que ses 450 garages recommandés offrent une garantie quatre fois plus intéressante que celle prévue à la Loi sur la protection du consommateur, soit un an / 20 000km, pièces et main d’œuvre.
Une fois la réparation effectuée, peut-être doutez-vous encore? Les services-conseils peuvent à nouveau vous seconder dans l’analyse de votre facture.
Souvent, un seul coup de téléphone remet les choses en place. « C’est le cas plus d’une fois sur deux, dit Pierre Beaudoin, directeur des services techniques chez CAA-Québec. Il nous est même arrivé d’examiner une estimation pour un client qui pensait avoir été floué… pour nous apercevoir qu’en fait, il obtenait une réparation à très bon prix! »
Rappelons que l’Office de la protection du consommateur (OPC) offre aussi son service de « Profil du commerçant » qui dévoile, sur l’établissement avec lequel on entend faire affaire, toutes les plaintes (s’il y a lieu) enregistrées au cours des deux dernières années.
Réal Coallier, porte-parole de l’OPC, suggère par ailleurs de visiter deux ateliers de réparations pour les travaux importants. « Faites-vous faire une évaluation écrite par chacun, dit-il. Vous pourriez constater d’importants écarts dans les prix. »