La Rue Nue: et si on disait «bye bye» aux stops et aux feux rouges?
La Rue Nue, c’est notre traduction, mais on aurait pu tout aussi bien traduire l'expression anglaise Naked Street par la Rue... Déshabillée.
Dans un cas comme dans l'autre, l’idée d’une ville, d’un quartier ou même juste d’une artère urbaine sans signalisation peut sembler folle. Pensons-y deux minutes : qui aurait priorité sur qui?
Qui pourrait être accusé de rouler à contresens… s'il n'y a plus de sens uniques?
Où nos municipalités trouveraient-elles les montants recueillis en contraventions pour non respect des panneaux... si ces panneaux n'existent plus?
Il est mort… dans son lit
Donc, vous vous dites que l’idée, aussi invitante soit-elle, est du domaine de la folie. Pourtant, le phénomène existe depuis les années 1980. Et qui l'a créée, cette tendance? C'est l'ingénieur néerlandais en circulation Hans Monderman, lui qui aura vécu de 1945 à 2008.
(Si vous vous interrogez sur les causes de son décès, on vous répond tout de suite : il est mort dans son lit... pas dans un accident de la route!)
Cette notion de ville sans signalisation a pris, au fil du temps, le nom de Shared Spaces - ou Espaces Partagés. Mais sincèrement, on aime tellement mieux son premier nom de Naked Street, puisqu'il met en lumière tout ce qui n'est plus: les feux de circulation, les panneaux d'arrêt et les indications de priorité cités en introduction, mais aussi les passages pour piétons, les trottoirs surélevés et même…
... les lignes blanches qui, traditionnellement, marquent la différence entre les types d'usagers d'un même réseau.
Autre «démarcation»: au lieu d'un code de la Sécurité routière et de ses centaines de règlements qui nous dit quoi et comment faire, on n'a que deux règles à honorer, qu’on soit au volant de son auto, les mains sur le guidon de son vélo, les fesses dans une chaise roulante ou les pieds dans ses patins à roulettes.
Et ces deux lois sont:
- respecter la limite de vitesse;
- céder le passage à tout ce qui vient de la droite, que ça roule, que ça coure ou que ça marche.
Pour le reste, eh bien on se fie aux contacts visuels, aux hochements de tête, aux gestes amicaux et... au gros bon sens.
Autrement dit, on doit directement négocier notre passage avec les autres, en sécurité et avec courtoisie… comme dans la vraie vie.
Du coup, chacun récupère sa responsabilité sociale (pour ne pas dire sa liberté!) et... vous savez quoi? Paraît que ça fonctionne.
Quand + de dangers = moins de risques!
L'une des premières villes sans signalisation a véritablement été, en 2002, la néerlandaise Drachten. Encore aujourd'hui, l'agglomération de 45 000 habitants (c'est de l'ordre de Mascouche, de Saint-Eustache ou de Victoriaville, ça!) est mondialement citée en exemple pour avoir éliminé ses 18 feux de circulation et aménagé son espace urbain selon les besoins de tous et chacun.
Conséquence? D'en moyenne huit accidents par année avant la transformation du centre-ville, le nombre a immédiatement chuté à un seul accident par année. Même qu'en 2005, il n'y en a eu aucun!
Voilà qui n'avait pas surpris le père du projet, Hans Monderman. Tel le Freud du comportement routier, l'expert en circulation avait déjà observé qu'une nouvelle hiérarchie s'installait dans ces zones «nues», plaçant les utilisateurs les plus vulnérables au sommet de la pyramide.
«Lorsqu'il n'y a pas de feux de circulation, les piétons sont considérés comme d'autres usagers de la route, non pas comme des obstacles sur le chemin... du prochain feu vert,» a légendairement déclaré le Néerlandais.
Zéro accident: le rêve!
Lexpérience hollandaise a fait des p’tits, dont la ville universitaire suédoise de Norrköping qui a réinventé le rond-point (roundabout) pour en faire un square-point (squareabout), ou encore Bohmte, un petit village allemand de 15 000 habitants dont les autorités rapportent une économie mensuelle de 8500$... en remplacement et en entretien des panneaux (!).
On s’en doute, le principe des «sans signaux» s'applique difficilement aux grandes métropoles dans leur ensemble. Cela dit, certaines l'ont mis en oeuvre dans des quartiers.
Telle Londres, avec Kensington : depuis près de dix ans, 95% de ce qui constituait une véritable forêt de panneaux de signalisation et un amalgame de mesures de modération (on pense aux glissières de sécurité et aux dos d'ânes) sont disparus de la Exhibition Road, la rue des musées qui attire annuellement 11 millions de visiteurs.
Les experts estiment à environ 400 le nombre d'artères ou de localités en Europe qui ont adopté la philosophie, en tout ou en partie.
Le bilan? Les expérimentations que nous avons retracées dans l'Internet vont du nombre d’accidents qui n’a pas augmenté à... carrément une amélioration absolue.
Soit zéro accident.
Comme dans niet. Nada. Pu pantoute.
Un déferlement anti-signaux?
Devant pareils résultats, on pourrait croire que la ruée vers l'abolition de la signalisation urbaine est sur le point de déferler, right?
Malheureusement, non.
Ce n'est pas le déferlement sur le Vieux-Continent, là où, incidemment, le premier feu de circulation a vu le jour il y a plus de 150 ans (évidemment, tu sais que c'était à Londres - en 1868!).
Et ça l'est encore moins de ce côté-ci de l'Atlantique. À peine quelques villes ont testé la chose, West Palm Beach en Floride et Normal en Illinois, par exemple. Mais ce fut fait à si petite échelle qu'il est encore impossible pour les experts d'en tirer quelques conclusions.
On ne peut que se demander - et justement, on vous la pose en conclusion, la question: comment est-ce que nous nous comporterions, automobilistes, cyclistes et piétons, à une intersection sans feu de circulation ni même panneau d'arrêt?
Plus courtoisement et de façon nettement plus sécuritaire ou... en de rustres malappris?