Je me rappelle encore ce Salon de Détroit 2003: le clou du grand rendez-vous automobile nord-américain avait été, sans conteste, non pas une bagnole sport; ni une voiture électrique (ce n’était pas encore l’époque); mais bien…  l’inattendu et étincelant Dodge Tomahawk 2003.

Tout avait commencé avec, venu de derrière la scène, le vrombissement distinctif d’un puissant moteur – on allait bientôt découvrir qu’il s’agissait du V10 (8,3 litres) de la Viper SRT10.

Mais alors que la faune journalistique s’attendait à un bolide rutilant et tout en lignes sportives, le patron de Chrysler de l’époque, l’Allemand Wolfgang Bernhard, s’était amené… sur “ça”.

“Ça”, c’était une sorte de quadricycle, avec ses quatre roues jumelées en paires et chacune dotée d’une suspension indépendante. Véritable sculpture mécanique “art déco”, le prototype de Dodge Tomahawk 2003, tout de chrome vêtu, avait littéralement volé la vedette. En raison de la tonalité d’enfer qui s’extirpait de la bête, mais également du visuel époustouflant qu’elle offrait.

500 chevaux direct sous les fesses

Hier comme aujourd’hui, la fiche technique du Dodge Tomahawk 2003 a de quoi étourdir de spécifications et de dimensions qui n’ont rien à voir avec le monde automobile.

Pensez 2,6 mètres de long et à peine 70 cm de large pour cet alliage de pièces d’aluminium, machinées à la main et posées sur des roues de 20 pouces.

Le poids total, à 680 kg (ce qui est considéré comme lourd pour une motocyclette) était réparti entre l’avant et l’arrière presque à la perfection.

Tant les phares avant que ceux arrière annonçaient déjà que les dioxydes électroluminescentes (les DEL, en bon français) allaient devenir la tendance. Assurément, ils le sont devenus chez les véhicules de luxe et, de plus en plus, ils se démocratisent chez les véhicules d’entrée de gamme.

La plus puissante… en théorie

Deux chiffres étaient repris par tous les scribes qui assistaient au dévoilement du Dodge Tomahawk 2003: 500 chevaux (à 5600 tr/min) et 525 lb-pi (à 4200 tr/min).

Voilà qui consacrait la motocyclette comme étant la plus puissante du monde.

Sauf que… encore aujourd’hui, jamais n’ont été testées, encore moins confirmées les prétentions de Dodge, qui clamait le 0-60 m/h en 2,5 secondes (c’est de l’ordre de la Bugatti Veyron, ça).

C’est sans doute que personne n’a été assez fou pour oser tester la vitesse maximale du bolide, d’abord établie à 680 km/h, puis rectifiée par le constructeur à 490km/h.

Bud Bennett lui-même n’a pas voulu le faire.

Père spirituel du Dodge Tomahawk Bud Bennet?

Qui c’est, Bud Bennett?

Bud Bennett, c’est d’abord le président de RM Motorports, une entreprise du Michigan qui s’amuse (très sérieusement) à restaurer et préparer des bagnoles depuis plus de 40 ans.

Surtout, Bud Bennett (“Mais appelez-moi Bud…”), c’est l’homme, aujourd’hui âgé de 70 ans, vers qui s’est tourné, au début du nouveau millénaire, un certain… Thomas Freeman. Alors designer chez Chrysler, le père de l’Audi TT lui-même cherchait à mettre en valeur non pas une voiture, mais bien un moteur: le V10 de la Viper.

En à peine dix mois, mais moyennant 10 000 heures/hommes de labeur, le Dodge Tomahawk 2003 a vu le jour.

Il a vu le jour dans le plus grand secret des ateliers privés de Wixom, au Michigan (ville où, incidemment, l’on a fabriqué les Ford Thunderbird): “Même mes plus proches amis ne savaient ce que nous tramions…” confie le père spirituel du Dodge Tomahawk.

Une presque production…

Au départ, l’intention n’était pas de faire entrer en production pareille machine. Mais… les réactions ont été dithyrambiques: “Les gens de Chrysler m’ont dit que si je parvenais à trouver 20 acheteurs sérieux, ils accepteraient de financier la fabrication d’une centaine d’unités,” se rappelle Bud Bennett.

Deux semaines plus tard, 37 passionnés s’étaient dit assez fous pour verser un dépôt afin de se procurer… un bolide qui n’allait jamais, au grand jamais, être autorisé à prendre la route. Encore moins la piste.

Mais Chrysler a fait marche arrière, “principalement par souci des implications judiciaires si les gens passaient outre l’interdiction de piloter le Dodge Tomahawk… et se blessaient,” dit encore Bud Bennett.

Entre “Hot wheels” et copies chinoises…

Si vous faites une recherche sur Ebay pour dégoter un Dodge Tomahawk, vous serez redirigés vers les modèles réduits “Hot Wheels”… que vous pourrez vous procurer réduit pour quelques dollars.

Une recherche plus poussée vous entraînera vers des sites chinois qui veulent vous vendre leur “KMD K-007 Tron Bike MC-06” ou autre médiocre réplique du Dodge Tomahawk pour un ou deux milliers de dollars.

Mais ces “mini-motos” ne produisent qu’une dizaine de chevaux vapeur et retiennent les transmissions à variation continue des scooters. On est très loin de ce qui était annoncé comme l’une des motocyclettes les plus coûteuses du monde…

Une fois pour toutes: seuls quatre exemplaires au monde

Jusqu’à présent, le plus grand mystère entourait le Dodge Tomahawk 2003. Nous avons décidé de faire la lumière, une bonne fois pour toutes.

Il a été dit qu’une dizaine d’unités avaient été produites et que la majorité d’entre elles avaient trouvé preneurs aux États-Unis, par le biais du détaillant chic Neiman Marcus, à plus ou moins 550 000$US la copie. Et que l’une d’entre elles se trouvait dans le garage de Jay Leno.

C’est tout à fait faux.

Le vrai du vrai, c’est Bud Bennett qui nous l’a confirmé pas plus tard qu’aujourd’hui: seuls quatre véritables exemplaires du Dodge Tomahawk existent à travers le monde.

Le premier, dévoilé à Détroit en 2003, est toujours propriété de Chrysler – et il se trouve au musée Walter P. Chrysler, lorsqu’il n’est pas en tournée dans un quelconque événement.

Deux autres exemplaires ont été cédés à des “collectionneurs privés”, à 700 000$US chacun. Mais pas de chance à prendre: ils ont été livrés sans l’électronique qui leur permettrait de rouler. Je ne sais pas pour vous, mais une sculpture de salon à ce prix-là, je n’en ai pas les moyens…

Et: “Non, Jay Leno n’est pas l’un de ces deux collectionneurs privés,” précise Bud Bennett.

Le dernier exemplaire diffère des trois premiers, en ce sens qu’il reflète, avec une seule (et non deux) roues à l’avant, ce qu’aurait été le modèle de production. Et c’est logique: à quatre roues, ça passe pour une voiture avec toute la réglementation qui s’ensuit, alors qu’à trois roues, on appelle encore ça une moto…
 
Cet unique exemplaire est toujours entre les mains de celui qui mentionne, sans même vouloir se vanter, qu’il est celui qui a le plus roulé en Dodge Tomahawk de toute la planète.

Mais certainement pas à 480 km/h: “Les pneus ne sont pas conçus pour ça, dit-il. De fait, s’ils l’étaient, on pourrait envisager du 210 km/h, peut-être même du 230 km/h.” Mais pas vraiment plus; après tout, on parle d’une moto qui a été conçue pour le “show”, pas pour la performance pure et dure…

Tout au plus Bud Bennett a-t-il suffisamment poussé la machine, sur la piste d’essai de Chrysler, pour laisser loin derrière… une Dodge Viper.

Ce qui n’est quand même pas rien.