Alcool au volant: La fin de la récréation

Nouvelles
dimanche, 15 juillet 2012
De temps en temps, le Québec étudie la possibilité de faire passer la limite d’alcoolémie au volant de 0,08g à 0,05g. Mais devant les hauts cris qu’une telle annonce suscite, il recule. Pourtant, vous savez quoi? On ne devrait même pas conduire, passé 0,05g. Il est plus que temps de sonner la fin de la récréation.

Exception faite des États-Unis et de l’Angleterre, qui prônent toujours une limite légale à 0,08g d'alcool par 100ml de sang, la plupart des pays que l’on peut considérer comme civilisés imposent le 0,05g - ou moins.

L'Australie et la plupart des pays d'Europe ont fixé le seuil à 0,05g, y compris la France, pays de la bonne chair et du bon vin.

En Inde et au Japon, la limite légale est encore plus basse : 0,03g.

En Suède, en Norvège et en Pologne, elle est de 0,02g.

En République Tchèque, en Hongrie et au Brésil, elle est de… 0,00g. C'est tolérance zéro, là-bas.

Au Canada? La limite légale est fixée à 0,08g, mais toutes les provinces imposent une quelconque sanction à partir de 0,05g.

Toutes les provinces... sauf le Québec qui, décidément, fait office de laxiste.

Oh, ce n’est pas qu'il n'ait jamais tenté le coup. En 2007, puis en 2010, la ministre des Transports d’alors, Julie Boulet, avait bien essayé de faire rentrer la Belle Province dans les rangs.

En vain.

Dommage, parce que même "juste" à 0,05g, la plupart des conducteurs ne sont déjà plus en état de prendre le volant.

Moins intelligents... même "juste" à 0,05g
Vous en doutez? Visionnez sur YouTube le reportage de l’émission J.E., qui relate une expérience sur l’alcool au volant menée en novembre 2009, dans le simulateur de CAA-Québec.

Oui, ça date de plus de trois ans, mais ça fait encore marque.

On y voit trois cobayes - Valérie, Yannick et Philippe - qui prouvent être de bons conducteurs lorsqu’ils sont à jeun.

Mais voilà, on leur donne suffisamment à boire pour qu’ils soufflent, dans la "baloune", du presque 0,05g.

Et tout à coup, au volant du simulateur, leur concentration diminue; leur conduite devient erratique; et ils chevauchent la ligne blanche plus souvent qu’à leur tour.

Cela n’aura pris que trois verres de vin pour que Valérie rate un virage, et quatre verres pour que Yannick perde momentanément la maîtrise de son véhicule.

On n’en est pourtant qu’à 0,05g, souvenez-vous…

"Maudit cave"
À cinq verres pour Yannick et Philippe, quatre pour Valérie, les conducteurs "soufflent" du 0,07g. C'est dire qu'ils se trouvent toujours sous l’actuelle limite légale au Québec.

Mais… : "Je ne suis pas en état de conduire, énonce Yannick. J’ai la bouche pâteuse et les jambes molles." L’expérience en simulateur démontre qu’il a raison : il heurte un piéton.

Valérie, elle, fait grimper la voiture sur un trottoir, avant de provoquer deux accidents. "Maudit cave", lance-t-elle à un automobiliste qu’elle dit "sorti de nulle part".

Quant à Philippe : son regard est fixe et il ne tient plus le volant que d’une seule main. Son agressivité monte au fur et à mesure que les pépins surviennent et il multiplie les erreurs.

"Fuck", sera son unique commentaire.

Indéniablement, "juste" à 0,05g, nos cobayes avaient déjà les facultés suffisamment altérées pour éprouver de la difficulté à maintenir leur trajectoire et à prendre des décisions éclairées.

À 0,08g, ils étaient carrément incapables de prendre le volant de façon sécuritaire.

Vivement qu'on réduise la limite d'alcoolémie au Québec.

Leurs victimes ne sont pas comptabilisées
Bon, vous dites qu'avant de taper sur le clou des "cinq à sept-eux", il faudrait d'abord se concentrer sur les récidivistes de l’alcool au volant.

Mais... on a déjà fait pas mal, à ce chapitre, avec des sanctions de plus en plus sévères. Et de toute façon, se concentrer sur les récidivistes ne signifie pas qu’il faille oublier tous les autres aspects de la problématique.

Après tout, est-ce qu’on cesse d’arrêter les voleurs de voitures parce qu’il faut arrêter les tueurs?

Jean-Marie De Koninck, le plus grand défenseur de la sécurité routière au Québec s’il en est un, vous dira qu’entre 0,05g et 0,08g, les risques d’être impliqué dans un accident mortel sont cinq fois plus grands.

Je répète : cinq fois plus grands.

Certes, la SAAQ révèle qu'au cours des cinq dernières années, les conducteurs décédés dans un accident de la route et qui présentaient un taux d'alcoolémie entre 0,05g et 0,08g ne constituent que 2,5% de tous les conducteurs décédés.

Mais c'est oublier une donnée importante : ceux qu’ils ont blessés ou tués ne sont pas comptabilisés. En effet, les statistiques ne tiennent pas compte des victimes que font ces chauffards morts au volant alors qu'ils étaient en état d'ébriété.

Tout comme les statistiques ne tiennent pas compte non plus des victimes d'un conducteur éméché... qui, lui, ne s’est pas tué.

C'est pourquoi la ministre Boulet soutenait, lorsqu'elle tentait de faire avaler la pilule "0,05g", que cette dernière mesure permettrait de sauver annuellement quelque 45 vies.

C'est un autobus au grand complet qui ne plonge pas dans un ravin, ça.

Une tempête dans un verre... de vin
Qu'on arrête une fois pour toutes de tempêter dans un verre de vin : abaisser le seuil à 0,05g n'a pas pour objectif de forcer la population québécoise à ne plus jamais boire.

Même que: buvez tant que vous voulez! Mais de grâce, ne prenez pas le volant.

Appelez un taxi, désignez un chauffeur, rentrez à pied, couchez à l’hôtel… (mais pas dans votre "char"; à ce sujet, lisez notre chronique sur www.guideautoweb.com).

Surtout, rappelez-vous : celui qui se demande s’il peut conduire est déjà dans le pétrin.

Et croyez-en l'expérience en simulateur : "souffler" du 0,08g, ça vient après pas mal plus de verres qu’on ne le pense.
 

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