"Védéférer" à Montréal? N'y pensez même pas...
D’accord, dites-vous, peut-être pas au centre-ville, mais à tout le moins en périphérie, par exemple à Ville Lasalle ou à Pointe-aux-Trembles? Jamais, dit Robert Kahle, conseiller expert à la Division des Transports pour la Ville de Montréal.
Et pourquoi pas?, insistez-vous. Après tout, les accrochages aux intersections où le virage à droite est permis constituent moins de 0,2% de tous les accidents de la route au Québec…
«C’est non, répond encore M. Kahle. Le virage à droite sur feu rouge, c’est l’antithèse de ce que nous essayons de mettre en place à Montréal, soit une circulation coordonnée, des piétons et des cyclistes en sécurité, une qualité de ville où les gens n’ont pas à craindre d’y déambuler.»
D’ailleurs, la métropole a fait le vœu, dans son Plan de transport adopté il y a deux ans, de réduire de 40% les accidents impliquant les piétons et les cyclistes et ce, d’ici 2018.
Il faut également se souvenir que Montréal est l’une des plus anciennes villes d’Amérique du Nord. Elle n’est donc pas d’une première jeunesse: «Les quartiers y sont populeux, le milieu de vie est très dense, les voies sont congestionnées par des véhicules stationnés, les bâtiments n’ont pas de recul par rapport à la rue… énumère M. Kahle. Bref, le virage à droite sur feu rouge à Montréal serait une hérésie.»
Et de préciser: «J’ai assisté à plusieurs rencontres internationales où des métropoles ayant implanté le virage à droite sur feu rouge ont dit avoir fait une grosse erreur. Mais pression publique oblige, ils ne pouvaient malheureusement pas corriger le tir…»
Et vous, savez-vous «védéférer»?
Puisqu’on est dans le sujet, nous vous posons la question: vous, savez-vous «védéférer»?
Vous ne le savez pas si, avant de virer à droite à un feu rouge, vous n’immobilisez pas complètement votre véhicule. Et vous ne le savez pas si vous ne vérifiez pas qu’aucune voiture ou piéton a la priorité sur vous.
Vous vous reconnaissez dans ces «mauvais védéféreurs»? Oui, comme beaucoup d’autres conducteurs québécois, d’ailleurs…
Sept ans, déjà
Depuis avril 2003 (sept ans, déjà!), le virage à droite lorsqu’un feu de circulation est au rouge est permis au Québec. Pas partout, et surtout pas sur l’île de Montréal, mais reste que la manœuvre – le VDFR comme on l’appelle au ministère des Transports du Québec – est autorisée à de plus en plus d’intersections québécoises.
Rappelons que la Belle Province a été le dernier grand bastion nord-américain, à l’exception de la ville de New York, à interdire le VDFR. New York ne le permet toujours pas.
Le VDFR est rapidement entré dans nos mœurs. Peut-être trop rapidement, même. En effet, nombreux sont les automobilistes qui ne respectent pas l’ABC de la manœuvre. Vous le connaissez, cet ABC? Bien sûr, que vous le connaissez : vous savez qu’il faut d’abord une immobilisation complète du véhicule, puis une vérification attentive avant de repartir – si la voie est libre, bien sûr.
Répétons ensemble : immobilisation complète, vérification attentive, et l’on repart si la voie est libre.
Encore une fois? Bon, d’accord, nous n’insisterons pas, vous avez saisi.
Les accidents ont doublé
Mais alors, comment se fait-il que trop de conducteurs virent à droite sans s’arrêter ou qu’ils ralentissent à peine, sans trop regarder?
Ceux-là n’ont pas compris le principe de la « voie libre ». Une voie libre, c’est lorsqu’aucun piéton – qui a la priorité dictée par un feu vert ou un petit homme qui clignote, rappelons-le – ne franchit le passage.
Une voie libre, c’est aussi lorsqu’aucun véhicule venant en sens contraire – et qui a le bénéfice de la flèche verte – n’est en train de traverser l’intersection.
Yvon Lapointe, directeur de la sécurité routière à l’Association canadienne pour les automobilistes (CAA-Québec), soutient qu’agir autrement, c’est comme de ne pas respecter un panneau arrêt. «C’est même pire, dit-il, parce que s’il y a un feu de circulation, c’est que le niveau de risque est plus élevé.»
D’ailleurs, les accidents avec blessés survenus aux intersections ont doublé en cinq ans. Peut-être est-ce dû au fait que le nombre d’intersections permettant le VDFR soient plus nombreuses?
Ou c’est parce que l’automobiliste québécois, de nature, est indiscipliné…
Le parfait « védéféreur »
Avouez, les bons « védéféreurs » ne courent pas les rues (!) au Québec. En voyez-vous beaucoup, vous, qui prennent soin de ne pas empiéter sur le passage piéton avec leur véhicule?
Qui s’immobilisent totalement, donc qui ont le temps nécessaire à la compréhension d’éventuels panneaux interdisant la manœuvre en certaines heures?
Qui savent que la manœuvre est un privilège, non pas une obligation et qui font donc preuve de courtoisie envers ceux qui choisissent de ne pas « védéférer » (lire : qui ne klaxonnent pas)?
Au contraire, le Québec pullule plutôt de « védéféreurs » qui ne se forcent guère pour réaliser la manœuvre de façon sécuritaire. Mais… pourquoi se forceraient-ils? Après tout, l’absence d’un contrôle routier qui mette l’accent sur la chose est notoire.
L’an dernier, sur l’ensemble du territoire desservi par la Sûreté du Québec, moins de 560 contraventions ont été remises aux « védéféreurs » qui ne se sont pas arrêtés totalement ou qui n’ont pas respecté une interdiction de virage à droite sur feu rouge. Ces infractions coûtent 154$ et entraînent trois points d’inaptitude.
Avouez, ces 560 contraventions sont bien peu versus les 800 000 infractions (avec poins d’inaptitude) qui sont, bon an mal an, émises par l’ensemble des corps policiers de la Belle Province…