Taxis hybrides à Montréal: où est la volonté politique?
Sur les doigts d’une seule main : le nombre de voitures hybrides, sur les 4500 taxis qui effectuent annuellement 37 millions de courses à Montréal, se comptent sur les doigts d’une seule main.
Oh, ce n’est pas que l’industrie est contre. Chez Taxi Diamond, le plus important regroupement de taxis de la métropole (avec 1100 voitures), le directeur au développement, Daniel Di Massimo, dit supporter l’idée des taxis hybrides : « À long terme et écologiquement parlant, tout le monde sera gagnant, » dit-il.
Il admet cependant ne détenir aucune étude sur la donne. Même chose au Bureau du Taxi où, cet automne, une première rencontre sur le sujet s’est enfin tenue. « Il s’agissait de notre première discussion « hybride » avec l’industrie, dit le porte-parole, Richard Boyer. D’autres rencontres sont prévues l’an prochain et, parallèlement, nous assurerons un suivi auprès des quatre ou cinq chauffeurs de taxi qui roulent déjà en hybrides à Montréal. »
Le plus grand frein à la présence de taxis hybrides à Montréal réside sans doute dans les multiples inquiétudes du milieu. Les hybrides sont-elles fiables? Suffisamment durables pour bouffer 100 000 kilomètres de bitume par année – cinq fois plus qu’une voiture particulière?
Et qu’en est-il du confort, du dégagement aux jambes? En cas de réparations, les pièces sont-elles facilement disponibles? « On se questionne aussi sur la disponibilité des véhicules, leur impact sur le prix des assurances et le coût de remplacement de leurs batteries, » ajoute M. Boyer.
« Autrement dit, est-ce que ça vaut la peine? » résume M. Di Massimo, qui s’y connaît si peu en hybrides qu’il nous demandait où et à quel moment, dans la journée, les chauffeurs de taxi pourront brancher leur voiture afin de la recharger…
Économie d’essence : 45%
Comme si ce n’était suffisant, des contraintes d’affaires se pointent à l’horizon. Ainsi, la plupart des voitures hybrides, parce que le coffre est réduit par la présence de batteries, ne rencontrent par les normes « VIP » exigées pour opérer à l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau.
Décourageant?
Pas pour Germain Ferrere, un chauffeur de taxi qui roule en Toyota Prius depuis deux ans et demi, maintenant. Celui qui a 31 ans de métier se targue d’ailleurs d’avoir été le premier « taxi hybride » à Montréal.
Avec les 200 000 kilomètres déjà enregistrés au compteur de sa Prius, M. Ferrere n’a que de bons mots pour son hybride : « Le confort et la finition intérieure sont les mêmes que pour une Camry ou une Accord, et le fait qu’elle soit à hayon me permet d’en faire plus, côté cargo. De surcroît, la voiture profite d’un design attrayant et la clientèle est enchantée d’être conduite en hybride. »
Mais c’est surtout la faible consommation en carburant de sa Prius qui fait sourire M. Ferrere. « Je peux établir une comparaison directe avec mon dernier taxi, une Toyota Camry (quatre cylindres) : toutes saisons confondues, j’économise 45% sur ma facture d’essence avec ma Prius. C’est dire qu’en un peu plus d’un an seulement, j’ai récupéré les 4000$ supplémentaires que m’a coûté mon hybride, versus une voiture conventionnelle. »
Mais alors, qu’attend Montréal? La volonté politique, semble-t-il. Le ministère des Transports a bien annoncé, l’été dernier, un programme d’aide pour l’ensemble du transport en commun (scolaire y compris), promettant 25 millions sur cinq ans. Ces sommes pourraient prendre la forme d’un montant forfaitaire et viendraient s’ajouter aux subventions « hybrides » déjà proposées aux particuliers par les gouvernements fédéral et provincial.
Ces mesures de Transport Québec, qui devaient entrer en vigueur cet automne, se font cependant toujours attendre. « Nous avons un certain retard, admet Claude Martin, porte-parole pour le cabinet de la ministre Julie Boulet. Mais nous disons à l’industrie : si vous achetez hybride, conservez vos factures, le programme sera rétroactif au 1er janvier 2007. »
Rien d’imposé
Ce net retard de Montréal par rapport à certaines autres métropoles nord-américaines, les porte-parole interrogés par Auto Journal avaient tous une bonne excuse pour l’expliquer. Notamment, la structure de gestion des taxis montréalais.
« À New York, les permis de taxi appartiennent aux compagnies, qui emploient les chauffeurs, explique Daniel Di Massimo, de Taxi Diamond. Tout à l’opposé, les chauffeurs au Québec sont généralement indépendants. Ils sont leur propre patron et nous, qui leur servons d’intermédiaires avec les clients, ne pouvons leur imposer un type de véhicule ou un autre. »
Certes, voilà qui explique en partie pourquoi les chauffeurs indépendants sont frileux à l’idée de se commettre à l’hybride : s’ils se trompent, ils seront directement – et les seuls pénalisés. Voilà qui explique aussi pourquoi les compagnies de taxi comme Diamond, bien qu’elles appuient l’idée « hybride », n’aient pas l’intention d’apporter leur soutien financier.
Au Bureau du taxi, on n’impose rien : « Nous préférons attendre que le provincial se prononce sur son programme d’aide avant de fixer quelque objectif quantitatif que ce soit, » dit M. Boyer.
Certes, le patron politique dudit Bureau, André Lavallée, aussi responsable de l’aménagement des transports pour la Ville de Montréal, a de grands projets pour l’industrie du taxi : « En plus de servir les Montréalais, les taxis sont souvent les premiers à accueillir les touristes qui nous visitent, dit-il. Je souhaite donc qu’on en fasse des ambassadeurs de la ville, pas juste qu’on les soumette à un ‘trip écolo-granola’. »
Toutefois, la métropole n’entend pas mettre la main à sa bourse afin d’encourager financièrement ce rôle d’ambassadeur. Tout au plus : « Nous avons commencé à regarder ce qu’il en coûterait, de même que les subventions gouvernementales possibles, dit M. Lavallée. J’attends maintenant une proposition de l’industrie, qui devrait nous parvenir ce printemps. »
Dans ce dossier, finalement, tout le monde se renvoie la balle et personne ne se commet vraiment. Même les plus hauts paliers politiques provinciaux ne veulent pas s’imposer : « Le milieu du taxi en est un très traditionnel, nous ne voulons pas lui forcer la main, nous souhaitons plutôt procéder par l’exemple, » dit M. Martin, du bureau de la ministre des Transports.
« Pas facile de changer les mœurs, » soupire Germain Ferrere, notre chauffeur de Prius. La solution, pour ce dernier? « Il faut que les clients mettent en branle le processus par eux-mêmes, en exigeant des voitures hybrides. Je le constate moi-même : les gens sont intéressés à voyager en taxi hybride! »
En attendant, M. Ferrere assure que sa prochaine voiture-taxi sera une autre berline hybride. « Et qui sait, peut-être aurais-je droit à une subvention rétroactive! »
Taxis moins polluants à Montréal qu’à New York
C’est bien connu, une voiture hybride connaît ses performances les plus économiques en conduite urbaine. Pour l’industrie du taxi, dont les véhicules roulent principalement en ville, en plus de passer de longs moments en stationnaire avec le moteur qui tourne au ralenti, les véhicules hybrides sont, logiquement, d’excellents candidats.
Mais il y a plus : en adoptant la propulsion hybride, les taxis font leur part, côté émissions polluantes. Ainsi, une fois que tous les taxis de New York seront hybrides en 2012, on pense réduire les émissions de CO2 de 215 000 tonnes par an, rapporte CarJunky.com.
Il faut dire que neuf taxis new-yorkais sur dix sont des Ford Crown Victoria, réputées parcourir à peine 10 à 15 milles au galon. C’est trois fois moins qu’une berline hybride. À Montréal, les statistiques qui découleraient d’une transformation « hybride » des taxis seraient moins drastiques. En effet, le quart des voitures-taxis sont des Toyota Camry avec moteur quatre cylindres, non pas de gloutonnes Ford Crown Victoria.
N’empêche, si ses 4500 véhicules-taxi étaient hybrides, Montréal s’épargnerait annuellement 34 200 tonnes de CO2, soit près de la moitié moins que ce qu’émettent actuellement ses taxis.