Simon Lamarre: une 2e Volvo pour le designer québécois

Dossiers
lundi, 28 janvier 2013
Un designer automobile qui peut se targuer d'apposer sa signature - et son style sur une voiture, c'est rare. Sont encore plus rares ceux qui peuvent se vanter de l'avoir fait deux fois plutôt qu'une. Et surtout, en une seule décennie, comme le Québécois Simon Lamarre avec, coup sur coup, la Volvo C30 et la nouvelle Volvo V40.

Vous avez dit "se vanter"? Simon Lamarre ne le fera jamais. Le designer de 44 ans est beaucoup trop humble pour ça.

Ou trop occupé à se remettre en question... De fait, à chaque entrevue menée avec lui au fil de la dernière décennie, le Québécois n'a jamais semblé vouloir s'asseoir sur ses lauriers, ne serait-ce qu'un instant.

La première fois que j’ai interviewé le natif de Sainte-Thérèse (Laurentides), c’était à Montréal, à l'hiver 2003. Avec à peine 34 ans d'âge derrière la cravate, dont le quart passé chez Volvo, Simon Lamarre venait de mettre la touche finale à l'habitacle du Volvo XC90 - sa première grande réalisation chez le constructeur suédois.

Grand et mince, à l'allure mesurée et aux yeux perçants, le styliste portait un très classique complet-veston noir. On était très loin des designers aux tenues - et aux discours enflammés et je l'avais alors comparé... à un jeune curé.

J'espère qu'il m'a pardonné, depuis.

À cause d'une grande Suédoise

Le parcours de Simon Lamarre n'est pas banal, mais pour faire simple, disons que s'il vit aujourd'hui en Suède - et en parle couramment la langue - c'est à cause d'Annette, une grande blonde Scandinave de six pieds, rencontrée à un camp de vacances européen il y a de ça 25 ans.

Sitôt ses études en Design de l’environnement terminées à l’UQAM, Simon a déménagé ses pénates pour le pays de sa douce - et l'a mariée. Ils ont aujourd'hui trois enfants, un grand garçon de 15 ans ("Il fait 6,3 pieds!") et des jumelles de 12 ans.

Son premier boulot de designer, c'est chez Saab, l’autre constructeur suédois, que Simon Lamarre l'a obtenu. Mais après trois ans passés à créer des maquettes, il a senti que les possibilités résidaient ailleurs.

En mars 1995, il entrait chez Volvo.

Le grand coup

Le grand coup, Simon Lamarre l’a porté en 2007 avec la Volvo C30, une compacte destinée à complètement réinventer l’image de Volvo – et à attirer une clientèle plus jeune, plus “funky”.

Avec ses épaulements accentués, son hayon vitré et sa calandre large et surbaissée, la C30 constituait effectivement une véritable révolution versus ce que Volvo proposait jusqu’alors. 

Et il y avait moyen de rendre la voiture encore plus “funky”, surtout si on s’appelait Simon Lamarre. Ce dernier roule, encore aujourd’hui, un exemplaire unique d’année-modèle 2008 (photo ci-dessous), avec suspension surbaissée, jupes contrastantes et, merci aux collègues ingénieurs de la maison, un peu plus de chevaux sous le capot que la norme.

On tire "la plogue"

Le hic, c’est qu’avec seulement deux portières, la C30 s’est installée comme un produit de “niche” dans une marché ultra concurrentiel. À l’automne, Volvo a annoncé qu’il en tirait définitivement “la plogue” et il en a cessé la production, à son usine Gand de Belgique, en décembre dernier. 

Qu’est-ce qui n’a pas marché? “En fait, soutient le designer québécois, ça a très bien marché. On a réussi, avec la C30, à faire voir Volvo autrement. Mais… vrai que nous en aurions vendu davantage si elle avait eu cinq portières.“ 

À mi-parcours: la V40

Entre temps, Volvo bossait, sous la gouverne d’un autre de ses designers, à la V40, une familiale compacte cinq portes. Mais il y a trois ans, le vice-président design Peter Horbury était de retour au sein de Volvo (après un hiatus chez Ford) et a demandé à Simon Lamarre de reprendre le travail à mi-parcours.

S’il a conservé les proportions déjà établies au départ, le Québécois a cependant mis sa griffe partout ailleurs, dit-il, par des formes plus dynamiques, plus anguleuses, plus sportives.

Surtout, nous confie-t-il, il a eu le grand bonheur de besogner non seulement sur la V40, lancée officiellement au printemps dernier lors du salon de Genève, mais également sur ses deux autres variantes, lancées en septembre à Paris, soit la V40 Cross-Country et la V40 R-Design. 

“Ce qui m’impressionne le plus, dans ce trio de voitures, dit Simon Lamarre, c’est que placées côte à côte, elles laissent deviner trois âmes différentes. Ce n’était pas facile à réaliser, en ne troquant que les pare-chocs et quelques autres éléments visuels, mais je pense qu’on a réussi à modifier l’attitude pour quelque chose de plus “plein air” pour l’une, et de plus sportif pour l’autre.“ 

Nul n'est prophète en son pays

La V40 est déjà distribuée en Europe – c’est d’ailleurs pour ce continent qu’elle a été conçue – et elle s’amène lentement, mais sûrement en Russie, ainsi que sur les marchés asiatiques.

Mais… elle n’a toujours pas prévu pousser sa calandre jusqu’ici. Les États-Unis la boudent, du moins pour le moment, et le Canada a choisi de suivre le tempo américain. Prions toutefois pour que la vapeur se renverse, au fil des prochains mois et des études de marché à venir. 

Évidemment, Simon Lamarre trouve dommage (et nous, alors…!) de ne pas voir rouler sa dernière création par chez lui: “C’est une voiture fantastique pour le Québec, avec ses dimensions, son allure sportive, sa tenue de route incroyable et un look qui se démarque des autres.”

Et elle, elle possède cinq portes…

Les Allemands se paient une rare visite...

De quoi Simon Lamarre est-il le plus fier, lorsqu’il pose les yeux sur sa nouvelle V40? “Difficile de pointer un détail plus qu’un autre, répond-il. En fait, je suis très fier de la totalité de la voiture. On a non seulement poussé le style au maximum, mais aussi la qualité des matériaux et la dynamique de conduite.”

Bon, bon, pensez-vous; ils disent tous ça. Mais quand même: à l’occasion des grands salons européens de 2012, la nouvelle V40 a attiré l’attention… des collègues allemands.

“Généralement, ceux-là ne sont pas intéressés par nos lancements, dit Simon Lamarre. Sauf que cette fois, les gens de BMW, d’Audi et même de Mercedes sont venus nous visiter. À plus d’une reprise, d’ailleurs.”

"C'est MON char"...

Et maintenant, sur quoi bosse le designer québécois? “Sur un paquet de concepts pour le futur. On est en train de regarder ce que sera la prochaine génération de véhicules, mais aussi de technologies. Pour l’instant, je suis dans le design stratégique, on a beaucoup de discussions – et c’est pas mal intéressant.”

Mais encore? “Désolé, je ne peux en dire plus.“ 

Pas besoin: on prend déjà toute la mesure du talent de quelqu’un qui doit se pencher sur des projets qui ne verront le jour que plus tard. Beaucoup plus tard. 

Ce quelqu’un, il lui faut anticiper les besoins dans cinq ou dix ans… alors que bien souvent, les gens ne savent même pas ce qu’ils vont vouloir demain. Sans cesse, il faut revisiter ses connaissances, ses croyances, ses acquis. “

Et sans cesse, il y a toujours quelqu’un pour vous faire douter, pour vous critiquer,” dit Simon Lamarre. 

Être designer automobile est donc sans doute l’un des boulots les plus ingrats qui soit…  “mais encore aujourd’hui, je considère que c’est le meilleur job du monde.”

Et sûrement que ça fait son effet, lorsqu’on s’immobilise à un feu de circulation et que le conducteur voisin se pavane dans sa Porsche ou sa longue Mercedes. Celui-là ne peut pas se vanter d’être au volant de sa voiture, qu’il a lui-même dessinée…

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