Quand l'indicateur n'affiche pas la bonne vitesse...

Ce retraité de la Mauricie a eu la puce à l'oreille le jour où, dans la voiture derrière lui, son ami le suivait... en maugréant et en le traitant de "pépère". Une fois à destination, ce dernier l'a admonesté: "Coudonc, René, est-ce que tu étais-tu malade, pour rouler si lentement?"

Il n'en fallait pas plus pour que les deux hommes effectuent quelques tests de vérification. Ceux-ci sont venus prouver que lorsque son indicateur de vitesse affichait 100km/h, la berline de M. Brouillette roulait en fait à 93 km/h.

Et qu'à 120 km/h, la vitesse réelle était de 114 km/h.

Soit, dans les deux cas, un écart de 7%.

La bonne nouvelle, c'est que cette différence est "optimiste": jamais M. Brouillette n'a dépassé, sans le savoir, les limites permises. Et du coup, le conducteur venait de comprendre pourquoi, en plus d'une occasion, il s'était fait agressivement "coller au train" par d'autres véhicules.

La moins bonne nouvelle, c'est que la consommation en carburant qu'il estimait frugale à 100km/h... est en fait réalisée à 93km/h.

D'aucuns pourraient croire qu'il s'agit simplement d'être au courant d'une disparité entre l'indicateur et la réalité, puis d'ajuster sa vitesse en conséquence. Par exemple, sur l'autoroute, de rouler à 107 km/h pour obtenir un "vrai" 100km/h.

Mais si ça peut paraître simple, ça ne l'est pas, dit M. Brouillette: "Ça pose une problématique de comportement au volant lorsque j'utilise notre deuxième véhicule, une camionnette, qui indique la bonne vitesse. Je suis alors porté à considérer l'écart de vitesse de ma berline, de sorte que je me retrouve à rouler au-delà des limites permises."

C'est pourquoi Sylvain Légaré, analyste en consommation automobile pour CAA-Québec, recommande de ne pas chercher à compenser l'inexactitude de son indicateur de vitesse. "Pourquoi est-il si important de rouler à 100km/h sur l'autoroute? Mieux vaut suivre la circulation, dans les limites permises évidemment. D'ailleurs, rouler moins vite est plus sécuritaire et consomme moins d'essence."

Et d'ajouter la légendaire maxime: "Mieux vaut arriver en retard... qu'en corbillard."

Un quart de siècle de données

Reste qu'un écart de 7% peut sembler élevé et, de fait, il est le plus important noté par Marc Lachapelle. Depuis un quart de siècle maintenant, ce journaliste automobile (Le Guide de l'Auto) collige les temps d'accélérations, les distances de freinage et la vitesse réelle enregistrés par l'un et l'autre de la centaine de véhicules qu'il teste annuellement.

Pour ce faire, il utilise des appareils de mesurage précis et procède à des essais contrôlés, toujours sur les mêmes routes, toujours aux mêmes vitesses.-"Et toujours avec le même gars au volant," plaisante-t-il.

Puisant au hasard, à notre demande, parmi les fiches qu'il a remplies au cours de 2012, Marc Lachapelle a remarqué qu'un seul constructeur automobile, toujours le même et, incidemment, celui qui a vendu une berline à M. Brouillette, souffrait systématiquement d'un écart "optimiste" de 5% à 7%.

La majorité des autres véhicules qu'il a mis à l'épreuve indiquaient certes un écart, toujours optimiste, mais variant de 2% à 5%. Un seul constructeur démontrait un écart pessimiste (Volvo), c'est-à-dire que la vitesse réelle était plus élevée que celle affichée, mais elle l'était de moins d'un pourcent.

Une seule compagnie (GM) a vu tous ses véhicules testés par M. Lachapelle afficher avec exactitude la vitesse réelle.

L'odomètre: non tributaire

M. Brouillette s'est inquiété: "Si mon indicateur de vitesse "roule" plus vite qu'en réalité, en est-il de même pour... mon odomètre?" Du coup, ça voudrait dire que sur l'autoroute, au lieu d'enregistrer 93 réels kilomètres, la voiture engrangerait 100 kilomètres.

Donc, que la garantie viendrait à échéance plus rapidement, que le constructeur empocherait des réparations qui, autrement, auraient dû être couvertes et que la valeur de revente s'en trouverait négativement affectée.
 
Heureusement, ce n'est pas le cas. Nous avons fait le test avec deux Volkswagen Jetta de même modèle que M. Brouillette (une hybride et l'autre diesel) et, après plus de 400 kilomètres d'autoroute pour chacune, la distance affichée à l'odomètre reflétait, à 0,3 kilomètre près la distance vraiment parcourue.

Les experts interrogés pour ce reportage confirment la chose: l'odomètre (et, du coup, l'indicateur de consommation moyenne en carburant) n'est pas tributaire de l'indicateur de vitesse. Certes, c'est le même capteur qui compte le nombre de tours de roues, mais l'information est ensuite calibrée de manière différente par chacun des deux instruments.

Aucune règle, juste des standards

Au Canada, aucun règlement fédéral ne gère l'exactitude de l'indicateur de vitesse. Tout au plus, le Règlement sur la sécurité des véhicules automobiles impose, par son standard 101, des exigences pour l'emplacement et l'identification des commandes et affichages.*

Par contre, des standards** de la Society of Automotive Engineers (SAE International) stipulent que l'indicateur de vitesse devrait afficher un préjudice "optimisme" (mais jamais "pessimiste") d'au maximum 10%. Et que l'odomètre ne devrait pas présenter un écart de plus de 4% versus la distance réelle.

Notez qu'il existe également des standards internationaux, mis de l'avant par la Commission économique pour l'Europe des Nations Unies, qui formulent que l'indicateur d'un véhicule doit demeurer en deçà des 110% de la vitesse réelle, plus 4 km/h.

Qu'il s'agisse d'un standard ou d'un autre, l'objectif est de tenir compte des facteurs qui viennent influencer les lectures, tant à la hausse qu'à la baisse. Il faut savoir que la calibration des instruments d'un véhicule s'effectue en usine, par le constructeur, à température contrôlée, à des vitesses différentes et avec, à bord, le poids simulant le conducteur et un passager.

De surcroît, elle doit être réalisée avec les pneus d'origine installés pour la vente, pneus qui doivent être gonflés à la pression recommandée par le fabricant et être tout juste réchauffés d'une balade de 8 kilomètres à 45 m/h (72,4 km/h).

Dans la vraie vie...

Dans la vraie vie, toutefois, des écarts de vitesse et de distance sont notés principalement en raison des pneus, la plus grande source de disparité. Les lectures peuvent être faussées par les vibrations ou la friction, mais aussi les variations de température (jusqu'à 4% entre -7 et +55 degrés Celcius, dit SAE International) ou encore les forces centrifuges (un pneu voit sa circonférence croître jusqu'à 3% entre 48km/h et 145 km/h, dit encore SAE International).
 
L'automobiliste fait installer des pneumatiques d'une taille plus grande que ceux d'origine? La SAE International estime qu'après une heure à vitesse d'autoroute, la distance indiquée pourrait être jusqu'à deux kilomètres moindre que celle réellement parcourue.

À l'opposé, des pneus usés peuvent entraîner jusqu'à trois kilomètres de surestimation de la distance, contrairement à des pneus neufs. Et plus ils s'usent, ces pneus, plus leur circonférence sera petite et plus ils devront faire de tours, avec pour conséquence que la vitesse sera de plus en plus inférieure à celle qu'affiche l'indicateur.

Trop grande marge de manoeuvre?

Voilà ce qui explique que les constructeurs se gardent une marge de manoeuvre dans leur calibration. Ils ne veulent pas, entre autres, être accusés d'une lecture "pessimiste" qui aurait valu un excès de vitesse à l'automobiliste.

Par contre, fait valoir M. Brouillette, s'il décidait de circuler à la vitesse minimale sur les autoroutes québécoises, soit à 60km/h, il contreviendrait au Code de la sécurité routière, puisque sa berline ne roulerait alors qu'à 56km/h.

Fort heureusement, à peu près personne ne se risque à une telle manoeuvre autoroutière. Reste que ceux qui respectent religieusement les limites (comme vous, bien sûr!) risquent de penser, au volant d'une voiture surestimant sa vitesse de façon importante, que les autres roulent décidément en fou et de manière très agressive.

Et il n'y a là qu'un pas avant d'imaginer des dépassements dangereux ou des épisodes de rage au volant mettant en danger la vie des usagers de la route.

* Transports Canada incite les automobilistes à communiquer avec leur concessionnaire, puis le constructeur et ultimement ses enquêteurs en sécurité routière (1-800-333-0510), s'ils estiment qu'un défaut de fabrication pourrait nuire au fonctionnement sécuritaire de leur véhicule.

À notre demande, Transports Canada a recensé sept plaintes d'automobilistes concernant l'inexactitude du compteur de vitesse sur deux modèles (2010-2012) fabriqués Volkswagen. Mais:

"Comme l'exactitude de ces composantes n'est pas régie par la Loi sur la sécurité automobile et que leur fonctionnement de devrait pas avoir de conséquence sur la conduite sécuritaire immédiate du véhicule, Transports Canada n'a pas pris de mesures supplémentaires pour enquêter sur les défauts," a dit la porte-parole Karine Martel.

**J678: SAE International, Speedometers and tachometers - automotive
J862: SAE International, Factors affecting accuracy of mechanically driven automotive speedometer-odometers
J1226: SAE International, Electric speedometer specification - on road

Faites le test...

Si vous souhaitez découvrir la vitesse à laquelle votre véhicule roule réellement, munissez-vous d'un appareil GPS ou téléchargez sur votre téléphone intelligent l'une des applications qui, à l'aide des satellites, mesurent la chose en temps réel.

(Évidemment, vous demanderez à un passager de vous aider à réaliser l'expérience, puisque vous savez qu'il est interdit de manipuler un appareil de communication lorsque vous conduisez.)

Choisissez une autoroute droite, plate et libre de toute dense circulation, puis engagez à 100km/h le régulateur de vitesse, ce qui vous assurera d'une vélocité constante. Puis, demandez à votre partenaire de noter la vitesse indiquée par GPS. (Sachez que les indications GPS ne sont pas sans faille non plus.)
 
Répétez l'opération à 90 km/h et, si possible, à 80 km/h. Faites la moyenne des résultats et vous saurez s'il y a écart - et de combien - entre la vitesse indiquée au tableau de bord et celle à laquelle vous roulez réellement.

Pour connaître l'exactitude de votre odomètre, profitez d'un grand trajet autoroutier où vous utiliserez les bornes kilométriques en bordure de chaussée pour calculer la distance réelle que vous parcourez - et comparez-la avec la distance enregistrée au compteur.

Répétons qu'en raisons de facteurs influents comme les pneus, les standards autorisent à un écart "optimiste" de 10% en ce qui a trait à la vitesse et de 4% en ce qui a trait à la distance.