Premier décès à bord d'une Tesla autonome : ce qu'il faut savoir
Rappelez-vous bien cette date: le samedi 7 mai 2016. Parce que ce jour s’est inscrit à tout jamais, dans les anales historiques, comme celui où est survenu, sur une route régionale de Floride, le premier décès à bord d’une voiture autonome.
En l’occurrence, il s’agissait d’une Tesla Model S 2015, que son propriétaire Joshua Brown, un Américain qui venait de célébrer ses 40 ans, avait affectueusement surnommée Tessy. (Photo de ladite Tessy ci-dessous.)
Cette fin d’après-midi-là, la luxueuse berline électrique roulait vers l’est sur la route U.S. 27, près de la localité floridienne de Williston, lorsqu’un semi-remorque immobilisé en sens inverse a manoeuvré vers la gauche pour emprunter une route perpendiculaire.
Le véhicule électrique est littéralement passé au travers du poids lourds de 18 roues («si vite que je n’ai pas eu le temps de le voir», a dit le camionneur Frank Baressi, 62 ans), le toit et son pare-brise heurtant de plein fouet le dessous de la caisse-remorque.
Un journal local a rapporté que la voiture a ensuite poursuivi sa course sur plusieurs centaines de mètres, franchissant deux clôtures avant d’enfin s’immobiliser contre un poteau d’alimentation électrique.
Joshua Brown a été déclaré mort sur les lieux de l’accident.
AutoPilot engagé et… Harry Potter visionné?
Mais, dites-vous: si la collision mortelle a eu lieu il y a deux mois, pourquoi en parle-t-on maintenant?
Parce que de récentes informations provenant de la police floridienne, mais aussi de la compagnie Tesla et même de l’américaine National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) sont venues relancer le débat:
- Oui, confirme Tesla, le système autonome Autopilot était engagé et non, la voiture n’a pas freiné.
- Informé par le constructeur, la NHTSA a ouvert une évaluation préliminaire le 28 juin dernier, afin «d’examiner le design et la performance des systèmes autonomes». L’organisme américain responsable de la sécurité routière estime à 25 000 le nombre de voitures touchées par cette enquête. Rappelons que la «phase expérimentale» (dixit Tesla) de l’AutoPilot n’a été lancée qu’en octobre dernier.
- Des témoins qui se sont dépêchés vers la Tesla accidentée ont déclaré avoir entendu la trame sonore du film Harry Potter. Les policiers ont confirmé avoir trouvé à bord un lecteur de DVD, sans toutefois préciser s’il fonctionnait au moment de la collision.
Il n’en fallait pas plus pour que la cyber-planète s’enflamme pour ce premier décès, historique s’il en est un, d’un conducteur qui, selon toute vraisemblance… ne conduisait pas sa voiture autonome.
Tesla nie toute responsabilité
Parmi tout ce qui s’est dit et s’est écrit depuis quelques jours, nous retenons que si elle offre ses condoléances à la famille de «cet ami de Tesla et de la grande communauté des VE (véhicules électriques) ayant consacré sa vie à l’innovation et aux promesses technologiques»…
… la compagnie californienne nie quand même toute responsabilité. Dans un communiqué publié dans son site Internet le 30 juin dernier, elle stipule ceci:
- Alors qu’aux États-Unis, la route fait un mort à tous les 153 millions de kilomètres parcourus, la collision fatale dont il est ici question «est la première à survenir en 209 millions de kilomètres franchis avec le système autonome AutoPilot engagé»;
- Tesla soutient que «ni l’AutoPilot, ni le conducteur n’ont remarqué le côté blanc du semi-remorque contre un ciel brillamment éclairé, de sorte que les freins n’ont pas été appliqués»;
- Et de rappeler qu’au démarrage, «l’AutoPilot est désactivé, exigeant du conducteur qui veut le mettre en fonction la reconnaissance explicite que la technologie est dans sa phase bêta (…), que le système est une assistance qui oblige à conserver les mains sur le volant (…) de manière à garder le contrôle et la responsabilité du véhicule en tout temps».
«L’AutoPilot n’est pas parfait et exige du conducteur qu’il soit toujours en alerte, ajoute Tesla. Néanmoins, lorsqu’il est utilisé conjointement avec la surveillance du conducteur, le dispositif (entraîne) une amélioration statistiquement significative de la sécurité par rapport à la conduite purement manuelle.»
Joshua Brown avait-il prédit sa mort?
Né le 20 janvier 1976, Joshua Brown venait d’avoir 40 ans. Après avoir oeuvré une douzaine d’années au sein de l’armée américaine comme technicien en neutralisation d’explosifs – lire: il désamorçait des bombes – il s’était établi en Ohio, où il dirigeait Nexu Innovation, une petite compagnie d’installation Internet dans les régions rurales.
Manifestement, il «trippait technologie». Non seulement avait-il surnommé sa berline électrique Tessy, mais il s’y est régulièrement filmé en train d’expliquer la beauté – et les limites du système AutoPilot.
Une vidéo publiée sur YouTube le 5 avril dernier, soit pratiquement un mois avant sa mort, montrait justement sa Tesla éviter d’elle-même, sur l’autoroute, une collision avec un camion.
Cet extrait est devenu viral lorsqu’il a été retweeté par Elon Musk lui-même, le fondateur de Tesla. (Il l’est devenu encore plus depuis la mort de son auteur, avec 3,1 millions de visionnements au moment d’écrire ces lignes.)
En réponse aux nombreux commentaires des internautes, il est tristement ironique de lire que Joshua Brown avait, sans le savoir, pressenti une partie de la situation qui allait causer sa mort:
«Deux problèmes avec l’AutoPilot. De un, la caméra semble avoir du mal à déterminer, au sommet d’une côte, si les lignes (de signalisation) continuent tout droit ou virent. Je vous recommande donc la prudence lorsque vous parvenez à la crête d’une pente particulièrement abrupte. Et de deux, si la voiture voit les véhicules en mouvement… elle a davantage de difficulté avec ceux immobilisés.»
Et il ajoutait: «Je soupçonne que l’explication réside dans la façon dont le radar fonctionne (…), mais je prédis que les capteurs de seconde génération vont facilement résoudre ces deux problèmes.»
R.I.P. Joshua Brown
Peut-être, mais Joshua Brown n’y sera plus pour constater l’amélioration – si amélioration il y a. Parce que pour l’heure, même si la publication spécialisée Electrek rapporte que Tesla est sur le point de lancer sa prochaine version 8.0., nombre d’autres publications clament que l’accident a sonné le glas de la conduite autonome.
En attendant, la page Facebook de la première victime du genre restera dans les cyber-anales avec son foisonnement de photos où on la voit faire du parachute, du kayak, du vélo de compétition – et même survivre à une collision à moto avec un chevreuil.
À une longue liste de souhaits à réaliser que Joshua Brown a partagée en février 2015, il avait depuis coché à peu près toutes les cases: nager avec les dauphins, faire un tour à dos d’éléphant, traverser les États-Unis, piloter une motoneige, faire du ski nautique…
Ce qu’il lui restait à vivre, selon cette liste? Chanter du Karaoke, visiter le Louvre, marcher sur la Muraille de Chine et… danser nu sous la pluie. Ironiquement, c’est la technologique qu’il vantait comme l’avancée la plus sécuritaire pour nos routes qui l’a – peut-être – tué.