L’immatriculation au Québec : de 5$ à… aujourd’hui

Dossiers
mardi, 21 juin 2011
Saviez-vous qu’il y a 105 ans, l’immatriculation automobile coûtait au Québec… cinq piastres? Que la toute première voiture immatriculée dans la Belle Province était une De Dion Bouton 1898, que l’on peut encore admirer au Musée Château Ramezay?

Ça et combien d’autres anecdotes sont révélées par Guy Thibault, un retraité de l’enseignement au secondaire. Guy Thibault… Guy Thibault…

Oui, oui, nous vous avons tout récemment parlé cet écrivain – c’était à l’occasion du lancement de son deuxième livre L’Automobiliste et ses témoins. Nous vous disions alors que ce nouveau bouquin succédait à L’Immatriculation au Québec (2005, aussi aux Éditions GID) qui, sur près de 300 pages, nous transporte par la magie des mots au début du siècle dernier.

À l’époque, les chevaux étaient maîtres de la route et les rares voitures « sans chevaux » qui commençaient à y circuler étaient regardées comme des étrangetés, voire des dangers. Imaginez la scène suivante : un étroit chemin de gravier sans bas-côté, une charrette qui y déambule paisiblement et, tout à coup, une machine pétaradante qui surgit, effarouchant assurément l’animal.

Difficile cohabitation, admettez. Et il fallait faire quelque chose pour contrôler ce « maléfice roulant ».

Première immatriculation et… code comportemental

Déjà, la ville de Montréal avait conçu un système d’enregistrement, mais flairant la source de financement intéressante, les autorités gouvernementales ont rapidement concocté une première législation.

C’est ainsi que le Québec est devenu la troisième province canadienne, après l’Ontario et le Nouveau-Brunswick, à se doter d’une telle réglementation. C’était le 8 avril 1906, ça faisait à peine neuf pages et ça s’appelait la « Loi concernant les véhicules-moteurs ».

Attention : cette réglementation ne touchait pas que l’immatriculation. Elle a eu le mérite de voir à long terme en énonçant des pénalités pour les délinquants, en créant un code comportemental (!) et en faisant référence à des poursuites criminelles en cas de blessures.

Vous voulez rigoler un peu? Sachez que parmi ces dispositions vieilles de plus de cent ans, on imposait une limite de vitesse à 15m/h dans les campagnes… mais à 6m/h dans les villes. Aussi, on prescrivait l’arrêt obligatoire à la vue d’un cheval énervé par le bruit de l’automobile. Surtout, à l’époque, le coût demandé pour cet enregistrement était de… cinq piastres.

Avouez : c’est à mourir de rire!

« Pourquoi ils ont fait comme ça? »

Guy Thibault est historien et collectionneur dans l’âme. S’il a professé la géographie pendant 35 ans à la Commission scolaire de Laval, c’est qu’un détour de parcours l’a mené là « et j’y suis resté ». Mais l’histoire et les témoins du passé l’ont toujours passionné. À preuve : sa résidence de Saint-Hippolyte, dans les Laurentides, déborde de vieux souvenirs.

L’écrivain aujourd’hui âgé de 65 ans a commencé à accumuler dès l’âge de 20 ans des horloges, d’anciens cabarets de bière, toutes sortes d’annonces publicitaires. De loisir, la passion s’est transformée en quelque chose d’utile : « Les objets antiques et colorés décoraient bien mieux les murs de notre maison qu’un simple coup de pinceau. »

Une image, mille explications

C’est tout naturellement que les plaques d’immatriculation s’en sont mêlées. Et les questions de se bousculer dans la tête de Guy Thibault, qui a trouvé des réponses… dans les photos d’époque.

Un cliché, puis un autre et un autre encore… Pendant des années, il a visité les antiquaires et sillonné les marchés aux puces afin de découvrir ce qui confirmait ses hypothèses de base. Car plus que pour l’histoire en elle-même, l’auteur a voulu découvrir, dans ces témoignages, ce que les humains ont mis en branle pour s’adapter. « J’aime me demander : pourquoi ils ont fait comme ça? » dit-il.

Ce faisant, il a fait sienne une grande maxime : l’humain s’adapte à n’importe quoi. À la voiture, aux ordinateurs, aux cellulaires… Tiens, c’est comme pour ce cliché de 1940 : pourquoi l’on voit, le long d’une route, des arbres aux troncs enduits de peinture blanche? « C’est qu’à l’époque où les lumières de rue n’existaient pas, on a peint en blanc le bas des arbres pour que les conducteurs puissent bien voir, dans la pénombre, les limites de la route. »

Finalement, on a fait avec les moyens du bord.

L’immatriculation, fil conducteur

La toute première, mais vraiment toute première voiture immatriculée au Québec est, encore aujourd’hui, fort célèbre. Il s’agit de la De Dion Bouton 1898, qui appartenait au spéculateur montréalais Ucal H. Dandurand – et que l’on peut encore admirer au Musée Château Ramezay. En fait de toute première plaque québécoise, la voiture arbore l’inscription « Q.1 » peinte sur sa carrosserie.

Comme on l’a dit plus haut, la difficile cohabitation entre les voitures sans chevaux et celles avec chevaux a rapidement poussé le gouvernement à légiférer. Ce qu’il a fait en 1906 : cette année-là, le Québec enregistrera un total de… 165 véhicules. Chez nos voisins américains, qui avaient une avance de presque dix ans sur la chose, le nombre d’immatriculations s’élevait alors à 27 973 véhicules.

La voiture se démocratise avec le Model T

Un autre cliché nous permet de faire le saut quelques années plus tard : on y voit de jeunes enfants assis sur la banquette arrière du véhicule familial, habillés sur leur ‘36’. « Une chose est sûre, dit Guy Thibault, les premiers propriétaires d’automobiles n’étaient pas pauvres! » Et pour cause : le salaire annuel au Québec, en 1915, était d’environ 600$, alors qu’une Buick se vendait 1250$ soit deux années de salaire moyen.

Heureusement, la voiture s’est démocratisée. « L’industrie a compris que les gens voulaient tellement une voiture qu’ils étaient prêts à s’acheter une ‘barouette’ à quatre roues. » Le Ford Model T venait de naître.

(Pour la petite histoire, sachez que Guy Thibault possède – et roule – un Model A 1928. Si vous passez dans les Laurentides cet été, vous aurez peut-être la chance de le voir faire la « main » de Saint-Sauveur à bord de son antique véhicule.

Mais retour au Model T : en 1919, cette première voiture à être assemblée sur une chaîne de montage demandait 525$ (voire 298$ en 1923). Ça commençait à être abordable pour Monsieur (mais pas vraiment Madame, à l’époque…) Tout Le Monde.

Évidemment, le nombre d’immatriculations a alors bondi. D’à peine un millier qu’elles étaient en 1911, elles sont passées à 33 541 en 1919. Deux ans plus tard, le Québec immatriculait plus de 54 000 automobiles.

De nos jours, la Société d’assurance automobile du Québec immatricule, bon an, mal an, quelque 6,5 millions véhicules. Et côté prix, la moitié du revenu individuel canadien moyen d’aujourd’hui suffit pour se procurer une sous-compacte.

En sécurité… ou pas

Qui dit plus de voitures et plus d’automobilistes, dit plus de tourisme. En effet, la croissance de ce secteur de l’économie québécoise est intimement liée à l’automobile. D’autres photos colligées par Guy Thibault en témoignent… et nous portent à réflexion.

 « Dans leurs publicités d’époque, des hôtels vantaient leurs accommodations ‘garage’ avant de vanter leur ‘vin et bière’, leur ‘eau chaude’ et leur ‘excellente cuisine’, raconte l’écrivain. Comme si de remiser sa voiture à l’abri des intempéries était plus important que de prendre un bain! »

Autre photo du passé, autre témoignage : que nous disent ces grandes pompes à essence placées en bordure de la route, devant les magasins généraux? « Que les notions de sécurité n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, dit encore Guy Thibault. Il aura fallu quelques malheureux accidents pour que ces pompes soient placées suffisamment en retrait de la route pour assurer une sécurité maximale. »

Suivez les fils de téléphone

Et encore : à l’endos d’une photo de 1918, une annotation : « Beau voyage, seulement quatre ‘flats’. Tout a très bien été. » Voilà qui fait aujourd’hui sourire, mais reste que ça en dit long sur l’état des routes d’autrefois (voir notre topo Je me souviens sur le second bouquin de Guy Thibault, L’Automobilisme et ses témoins.)

Vous trouvez que les routes d’aujourd’hui sont chaotiques au Québec? Ce n’est rien si l’on se fie à un guide autoroutier de 1926 dégoté par l’auteur. Y sont inscrites les directions à suivre pour se rendre de Sainte-Agathe-des-Monts à Saint-Jovite : « Mille 13, Saint-Faustin : gardez la gauche, suivez les fils de téléphone. » Et une fois à Saint-Jovite, une mise en garde : « La route n’est que de sable et de gravier, on doit se montrer très prudent. Non recommandée lorsqu’il pleut, mais praticable. »

Pas rassurant…

La fidélité d’hier

À peu près au même moment, les clubs automobiles (l’ancêtre de CAA-Québec) connaissent une croissance fulgurante. « Chaque agglomération d’importance avait son club reconnu, » dit Guy Thibault.

Charles Trudeau, père de l’ancien premier ministre canadien, a même fondé une association (1921) qui, en échange d’une cotisation fixée à 10$, fournissait cartes routières, service de dépannage et… un rabais d’essence dans toutes les stations-service dont il était propriétaire à Montréal.

Les programmes de fidélisation ne datent pas d’hier.

Plus ça change…

Contrairement à ces chemins défoncés d’autrefois, ces pneus qui crèvent à tout bout de champ et ces pompes dangereusement dressées en bordure de la route, il y a une chose qui, au fil du temps, n’a pas changé. Et c’est la « fierté automobile », soutient M. Thibault, qui nous montre une série de clichés datant des années ’20 où l’on voit les gens poser pour la prospérité avec leur véhicule.

Portraits de famille, amis en voiture, jolies demoiselles adossées sur la calandre… « Les gars qui immortalisent leur ‘blonde’ avec leur voiture, c’est encore d’actualité! » s’exclame M. Thibault.


Tiré de la « Loi sur les véhicules-moteurs » (1906)

«Toute personne ayant le contrôle d’un véhicule-moteur doit, sur toute rue ou chemin public, à l’approche de tout cheval monté, mené ou conduit, ou de tout véhicule tiré par un cheval, manœuvrer ce véhicule-moteur de manière à prendre toute précaution raisonnable pour empêcher que le cheval ne soit effrayé et pour assurer la sécurité et la protection de la personne qui le monte, mène ou conduit. Si ce cheval semble avoir peur, la personne qui conduit ce véhicule-moteur doit en diminuer la vitesse et, si elle en est requise au moyen d’un signal fait en levant la main ou autrement par le conducteur de ce cheval, elle doit arrêter et ne pas avancer plus loin vers cet animal.»

***

«Tout véhicule-moteur, en usage dans un chemin public, doit être suffisamment muni de bons freins et aussi d’une sonnette ou gong, d’un sifflet ou autre signal convenable. Et si c’est une automobile, elle doit porter, depuis une heure après le coucher jusqu’à une heure avant le lever du soleil, deux lampes à lumières blanches visibles à une distance raisonnable dans la direction que suit ce véhicule (…) et aussi une lumière rouge visible dans la direction inverse.»

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