Le design automobile : une révolution pas si tranquille
Certains ne jurent que par le rétro, d’autres se tournent vers l’avenir. Une chose est sûre : le morne paysage automobile des années 80 et 90 appartient définitivement au passé. L’on n’a qu’à jeter un œil aux nouveautés 2005 pour s’en rendre compte.
Pour Pascal Boissé, designer industriel et reporter au groupe québécois Auto Journal, LA tendance qui se dessine actuellement est celle du « branding ». « Auparavant, c’était le badge qui faisait la différence entre trois berlines, dit-il. Depuis quelques années cependant, on assiste à un solide renforcement de l’image de marque. Chaque constructeur tente de se différencier des autres et travaille à se donner une identité. »
Celui qui donne le ton est sans conteste le constructeur allemand BMW. «BMW ne veut pas faire dans l’anonymat et nous travaillons ardemment à ramener la sculpture dans le design automobile,» confie Adrian Van Hooydonk, un Hollandais chargé de diriger le studio californien DesignWorksUSA.
Cet établissement, situé à 80 kilomètres de Los Angeles, n’a d’égal chez aucun autre constructeur. Et pour cause : on n’y dessine pas que des véhicules, on y esquisse également des montres et des valises, des téléphones cellulaires et des planches à neige, des guitares et même des tracteurs à gazon John Deer.
«Ce partage de créativité nous permet de mieux saisir les tendances, de discerner de quoi sera fait demain, explique Van Hooydonk. Certes, il n’y a pas de traduction directe entre les produits, mais tout se joue dans l’esprit des designers, qui savent où l’architecture, la technologie et la culture s’en vont.»
Résultat : des berlines et des coupés aux lignes tranchantes, révolutionnairement asymétriques et résolument modernes, signature du designer automobile le plus controversé de l’heure, Chris Bangle.
Les nouveaux traits de BMW ont le mérite d’être uniques. Tous n’apprécient pas, mais ceux qui aiment le font passionnément, sans demi-mesure. Le rêve de tout constructeur, quoi…
Au pays du soleil levant
Outre BMW, il y a Nissan qui sait faire parler de lui. En moins de cinq ans, la compagnie est passée de l’encre rouge aux profits les plus importants de l’industrie, en grande partie grâce à des véhicules aux designs ambitieux.
« Le design automobile peut être si anonyme au Japon, confie Shiro Nakamura, designer en chef pour Nissan. Mais je crois bien avoir commencé à faire changer cette attitude. » À preuve : les Nissan Murano, Maxima et 350Z, les Infiniti FX45 et G35… Et c’est sans compter les Cube, March, Primera et autres qui connaissent le succès au pays du soleil levant.
Olivier Boulay, designer en chef chez Mitsubishi à Tokyo, décrit bien cette révolution pas si tranquille dans l’industrie automobile nippone : « Les Japonais adorent l’harmonie entre les contraires. Ils balancent entre la tradition et le high-tech, le folklore et le moderne. Surtout, ils savent aller à l’essentiel. »
Le défi est maintenant d’incorporer cette culture japonaise au goût du jour : « Pendant de nombreuses années, les Japonais ont copié les Américains, dit M. Boulay. Je crois qu’ils en sont maintenant au point où ils doivent se faire confiance et inclure leurs valeurs dans le design automobile. »
De ce côté-ci du Pacifique
Plus près de chez nous, les constructeurs américains tendent de plus en plus vers la diversité. Ford est de loin celui qui a le plus misé sur le rétro. « Le rétro est là parce que les gens veulent un lien avec l’histoire, » soutient Ed Golden, designer chez Ford.
Cette nostalgie sur un tempo moderne nous a déjà donné la Thunderbird. Et elle nous livrera cet automne une nouvelle Mustang qui, avouons-le, n’a jamais eu aussi belle gueule depuis les années ’70.
« Redonner vie à un icône semblable, dit M. Golden, c’est comme porter le monde sur ses épaules. Nous nous sentions une obligation envers les passionnés de la Mustang, mais aussi envers le passé et son héritage. »
Certains designers soutiennent cependant que la récupération du rétro est le signe d’un manque flagrant d’imagination. « Le rétro peut représenter une absence d’alternatives, ce qui constitue un problème en soi, affirme Chris Bangle (BMW). Ou encore il est utilisé par les plus conservateurs, qui ne souhaitent pas prendre de risques. Mais qu’on le veuille ou non, les temps changent et il faut nous adapter, nous conformer, réagir. Plus encore, nous avons une obligation envers le futur, nous devons créer des voitures que les gens voudront restaurer. »
Voilà un concept bien compris chez DaimlerChrysler. Ce dernier se trouve, depuis au moins deux ans, sur une lancée de designs plus excitants les uns que les autres, avec les PT Cruiser décapotable, Chrysler 300C et Dodge Magnum, coupé et roadster Crossfire, voire l’élégante Pacifica.
Au menu : grilles imposantes, longs capots, lignes agressives, appliques de chrome et hautes ceintures vitrées. Pratiquement toutes les têtes se tournent, admiratives, au passage de l’un de ces véhicules. Encore une fois, le rêve de tout constructeur automobile…
On ne peut passer sous silence les efforts réalisés chez GM, efforts qui ont donné un second – et nécessaire – souffle à Cadillac. L’utilitaire Escalade a d’abord donné le pas, suivi de la berline CTS, puis des nouveaux SRX (utilitaire) et XLR (roaster). Cadillac a le mérite d’oser et les consommateurs le lui rendent bien.
Ah, si les designers étaient patrons…
C’est à travers des obstacles financiers, des patrons qui sont remplacés et des réglementations qui changent d’un marché à un autre que les designers doivent louvoyer. Pas toujours évident de bosser des mois et des mois sur un prototype… qui finalement ne verra jamais le jour.
À cet effet, Ian Callum, designer en chef pour Jaguar, rapporte : « Si je fais le bilan de toutes les voitures que j’ai dessinées au cours de mes 30 ans de métier, seules 10% ou 15% d’entre elles ont pris la route. Que voulez-vous, c’est la vie! »
Le Britannique espère que le concept R-D6, présenté l’automne dernier au salon automobile de Francfort, réussira à prendre le chemin de la production. Ce prototype aux allures plus masculines que le reste de la gamme Jaguar décrit bien quelle direction ‘design’ le constructeur veut adopter.
Une dernière question se pose : à quoi ressemblerait le paysage automobile si toutes les compagnies étaient gérés par les designers eux-mêmes? « L’ensemble des prototypes que vous admirez dans les salons automobiles prendrait la route! » conclut simplement Olivier Boulay (Mitsubishi).