Le buffet chinois… à l’envers
On y a d’abord cru. Après tout, si les Japonais ont mis deux décennies à percer le marché américain, les Coréens n’en ont mis qu’une. On se disait donc que les Chinois mettraient moitié moins de temps pour que leurs véhicules apparaissent dans nos rétroviseurs.
Pourquoi les Chinois veulent-ils tant débarquer de ce côté-ci de l’Atlantique? Parce qu’il est dit que pas une lettre de noblesse ‘automobile’ n’est accordée sans percée sur le marché américain, de loin le plus exigeant en termes de sécurité et d’émissions.
Mais bon, après moult dates d’arrivée repoussées et promesses sans cesse reformulées, aucun constructeur chinois n’est officiellement établi en Amérique du Nord. Même la berline électrique e6 de BYD (pour Build Your Dreams), compagnie en qui le milliardaire Warren Buffet a pourtant investi en 2008, brille par son absence.
Oh, quelques tentatives ont bien été menées au Mexique, mais en vain (le Brésil est maintenant dans la mire). De fait, seules quelques marques chinoises font rouler leurs véhicules en-dehors de leurs propres frontières et c’est majoritairement dans des pays émergeants.
L’an dernier, la Chine a exporté 282 900 véhicules passagers. C’est peut-être une hausse de 89% versus 2009, mais c’est quand même une quantité infinitésimale, quand on sait qu’un peu plus de 50 millions (millions!) de véhicules sont vendus chaque année à travers la planète.
On y avait pourtant cru
Je me rappelle encore Détroit 2006, qui accueillait le premier constructeur chinois de toute son histoire. Certes, Geely (celui-là même qui a acheté Volvo l’été dernier) avait érigé son petit kiosque dans le hall d’entrée, non pas dans la grande salle d’exposition. Qu’importe : sa berline MR7151A (!) avait attisé les curiosités, bien que le représentant ait dû passer son temps à en recoller les insondables lettres sur le coffre arrière.
À l’époque, Geely avait promis une entrée imminente en sol américain. C’était sans compter son incapacité de se conformer à aux normes américaines d’émissions et de sécurité. Voilà le principal écueil sur lequel tous les constructeurs chinois se sont, jusqu’à présent, cogné les dents.
Détroit 2007 : cette fois, c’est dans la grande salle qu’un constructeur chinois s’installe. Changfeng procède alors aux deux tout premiers dévoilements de véhicules chinois du continent. Vrai qu’on a rigolé de ce Liebao CS6 couleur canari et de cette camionnette Feibao CT5, camionnette qui a d’ailleurs laissé sa poignée de portière entre les mains d’un journaliste. Mais on se disait qu’on allait rire jaune lorsque les prétentions du constructeur (une entrée sur le marché en 2009) se concrétiseraient.
Pas de péril jaune en notre demeure
Eh bien non, toujours pas de péril jaune en notre demeure. À Détroit en janvier dernier, seul le constructeur chinois BYD était de la partie – les autres sont sagement restés chez eux.
Où ils y ont d’ailleurs fort à faire. En effet, et depuis deux ans, la Chine achète plus de véhicules que les États-Unis (18 millions l’an dernier, une hausse du tiers), devenant ainsi le plus important marché automobile de la planète. Et c’est loin d’être fini : les experts prédisent une augmentation de 15% cette année.
Du coup, tous les grands constructeurs automobiles internationaux s’affairent à se tirer la meilleure part du lion. C’est même le monde à l’envers : non seulement les véhicules chinois sont loin d’envahir la planète, ce sont plutôt les véhicules d’ailleurs qui convergent vers le populeux pays.
Des sous-produits…
Pour la Chine, des modèles spécifiques sont développés, voire des marques sont carrément créées par les grands constructeurs. Sans surprise, ces modèles et marques « Made For China » sont de qualité moindre, question d’être offerts à plus ou moins 50 000 yuan (7650$).
On n’a qu’à penser à Ford qui veut y recycler sa Focus d’ancienne génération. Ou encore à GM qui vient de créer Baojung (Cheval Précieux…) de concert son partenaire chinois SAIC. Pour l’heure, la nouvelle division est composée d’une seule compacte pas chère, la 630… assemblée sur une archaïque plateforme de Daewoo.
Nissan et Honda viennent également de former, avec leurs partenaires chinois, une nouvelle division spécifiquement pour l’Empire du Milieu (Qi Chen pour la première, Li Nian pour la seconde). Et on les comprend : peu désireux de diluer la qualité de leurs véhicules et d’affecter leur image, ces constructeurs concoctent des sous-produits basés sur d’anciennes plateformes (vive le recyclage technologique…), qu’ils équipent à peine (pas de climatisation, pas d’ABS… entre autres) et qui n’arborent pas leur label principal.
Volkswagen, le constructeur non domestique qui vend le plus de véhicules en Chine (devant GM, Hyundai et Toyota), n’a toujours pas décidé s’il se commettrait pour une nouvelle division.
… qui font mieux que les domestiques
Ceci dit, même en « sous-variantes », ces véhicules ont toutes les chances de mieux faire que les actuels véhicules chinois. Car au dernier sondage sur la fiabilité de la firme J.D. Power (2010), les automobiles raflant les positions de tête sont toutes de marques étrangères. Imaginez : Suzuki, qui se retrouve régulièrement à la cave de ces sondages en Amérique, réussit à placer sa Swift en tête de la catégorie des… compactes ‘premium’.
Autre aspect de l’équation : alors que les voitures étrangères obtiennent facilement cinq étoiles à la certification chinoise sur la sécurité, on compte sur les doigts d’une seule main les véhicules domestiques à faire de même. L’éditeur chinois de Automotive News China, Yang Jian, en convient d’ailleurs lui-même : « Voilà qui illustre la qualité médiocre des véhicules développés par les constructeurs chinois, en plus de démontrer que les marques chinoises ont encore un grand bout de chemin à faire avant d’être prêts à faire pour des marchés plus matures. »
Bref, ce n’est pas demain la veille que les automobiles chinoises viendront s’offrir aux buffets automobiles américains ou européens. Après tout, même dans leur propre pays, ces marques représentent moins de la moitié des ventes automobiles…