Inspection des véhicules: le jeu du vrai ou faux
Les critiques ont fusé, les histoires à faire peur aussi. En cinq constats, nous démêlons ce qui soutirera 60$ de vos poches.
Oups! Vous ne savez absolument pas de quoi nous parlons, ici? Voyez ici notre Fiche technique PIEVA qui fait toute la lumière sur le comment du pourquoi du programme.
Ce dernier est actuellement en projet de loi, une loi qui devrait être votée avant la fin de la présente commission parlementaire, pour ensuite aboutir (après consultations) en un règlement pour la fin 2013.
À partir de ce moment, tous les automobilistes québécois qui voudront vendre leur véhicule de huit ans et plus devront le soumettre à une inspection environnementale.
Ne passe pas l'inspection? Le vendeur pourra quand même vendre... mais l'acheteur ne pourra remettre en circulation, à moins d'apporter des correctifs (lire: des réparations).
Éventuellement, le programme débordera de la revente pour systématiquement toucher, à tous les deux ans, tous les véhicules de huit ans et plus - qui sont au nombre de 1,5 million au Québec.
Constat #1: Deux provinces l'ont déjà - pas sept
Le 7 décembre dernier, Pierre Arcand, ministre du DDEP (du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, pour faire au long), a annoncé le PIEVA.
Souvenez-vous de ce vocable, car il est là pour rester: Programme d'inspection et d'entretien des véhicules automobiles.
Lors de son annonce, le ministre a affirmé que sept autres provinces canadiennes avaient déjà leur programme d'inspection.
C'est faux.
Si cinq provinces imposent effectivement des inspections de sécurité, seules deux provinces obligent tests environnementaux: la Colombie-Britannique le fait depuis 20 ans et l'Ontario, depuis 1999.
Le Québec deviendra donc, fin 2013, la 3e province canadienne à vouloir "coincer" les systèmes antipollution défectueux.
Aux États-Unis, 35 états imposent différents programmes - dont les trois états limitrophes du Québec: Maine, Vermont et New Hampshire.
Il était temps qu'on s'y mette, ont dû dire nos voisins.
Constat #2 : "C'est un échec ailleurs"
- George Iny, président de l'APA
George Iny, c'est ce patron de l'Association pour la protection des automobilistes que vous entendez régulièrement à la télévision avec des commentaires chocs - et toujours bien sentis.
Tout comme lui, nous avons eu vent, ces dix dernières années à travers l'Amérique du Nord, d'histoires de tests frauduleux et de programmes inefficaces. (À ce sujet, lisez sur les pièges du PIEVA: Dix ans de retard, mais peut-être pour la meilleure part).
Ce que reproche George Iny au PIEVA québécois, c'est qu'il faudra tester 100 voitures pour en dégoter cinq ou dix qui polluent indûment. "C'est un gros gaspillage d'argent, dit-il. Et c'est d'autant inefficace que l'inspection d'une voiture qui ne pollue pas ne contribue en rien à l'assainissement de l'air."
Il y a du vrai là-dedans. Il faut savoir que le PIEVA ne s'adressera d'abord qu'aux véhicules destinés à la revente.
C'est dire que les 450 000 véhicules de huit ans et plus qui changent chaque année de mains au Québec devront passer une inspection d'environ 60$ - une dépense collective de presque 30 millions de dollars.
Et tout ça... peut-être pour rien.
En effet, le particulier désireux de vendre sa voiture, mais qui découvre avec stupeur (... ben voyons!) qu'elle pollue, pourra choisir de ne pas investir dans sa remise à niveau.
Et, plutôt, de continuer à l'utiliser.
Et la voiture continuera de polluer.
Roger Goudreau, directeur du comité paritaire de l'industrie des services automobiles de Montréal, n'est pas du même avis que George Iny: "Le programme procure du 'more bang for the money'. Soit un maximum de bénéfices pour l'environnement, versus un minimum de coûts et d'irritants."
M. Goudreau fait partie de la Table de concertation sur l'environnement et les véhicules routiers, qui a fait ses recommandations au ministre en amont du projet de loi dont il est question ici.
Cette Table croit qu'en entrant graduellement dans les moeurs québécoises, le PIEVA forcera les Québécois à maintenir leur mécanique automobile en ordre. Et que ces mêmes Québécois en sortiront gagnants, avec une meilleure valeur de revente pour leur véhicule, mais aussi avec... oh, mais attendez: c'est le propos de notre constat #3.
Constat #3: 60$ pour économiser (gros) en carburant
Entretenir le système antipollution de son véhicule n'est pas encore entré dans nos moeurs québécoises.
Mais ça l'est dans les régions où sont implantés des programmes du genre, dit Pierre Beaudoin, directeur des Services techniques chez CAA-Québec (et membre, lui aussi, de la Table de concertation sur l'environnement).
Et de raconter son expérience au New Jersey: "Nous nous sommes promenés dans des quartiers défavorisés et là-bas, même si les véhicules sont plus âgés que les nôtres, ils sont en fort meilleur état. Il est clair que les gens ont adopté des habitudes d'entretien - ce qui donne une valeur ajoutée à leur voiture."
La valeur ajoutée, c'est intéressant à la revente. Mais il y a plus - et au quotidien, s'il vous plaît.
Il faut savoir qu'une voiture maintenue en bon état mécanique consomme moins. Les chiffres les plus conservateurs font état de 15% d'économie d'essence. C'est dire 350$ annuellement épargnés à la pompe pour une berline intermédiaire.
Une sonde à oxygène défectueuse? Elle peut faire grimper la consommation de 40% - et la pollution d'autant.
Et c'est encore pire en hiver.
Ces économies de carburant sont méga. En comparaison, des pneus bien gonflés font sauver 3% de carburant et le fait de retrancher 50 kilos du coffre en sauve un autre 2%.
Enfin: "Une voiture bien entretenue dure plus longtemps, dit M. Beaudoin. Si on est capable d'en améliorer la durée de 40 000 kilomètres, eh bien c'est deux ans de plus sur la route qu'elle nous offre - en bon état."
Et, idéalement, sans polluer.
Constat #4: Les voitures polluent moins aujourd'hui
Personne ne conteste la chose: les véhicules neufs d'aujourd'hui polluent moins que les véhicules neufs vendus dans les années 1970.
Les statistiques de l'américaine Environmental Protection Agency (EPA) sont hallucinantes (en autant que vous aimiez les statistiques):
- En 1975, les véhicules neufs émettaient en moyenne 681 grammes par mile (g/mi) de CO2, un gaz qui contribue au réchauffement planétaire.
- L'an dernier, nos véhicules neufs émettaient en moyenne 395 g/mi. C'est presque deux fois moins.
Pourtant, ces véhicules neufs sont tout aussi lourds qu'il y a 35 ans (le poids est l'ennemi d'une frugale consommation en carburant); ils sont deux fois plus puissants (en moyenne 220 chevaux l'an dernier contre 137 chevaux en 1975); et ils sont plus grands (à l'époque, les utilitaires ne comptaient que pour 20% des ventes, alors qu'aujourd'hui, les ventes de camions sont presque nez à nez avec celles de voitures).
Alors, pourquoi un programme comme le PIEVA, si les avancées technologiques ont rendu nos véhicules plus propres?
Parce qu'un tel programme prévient la maltraitance mécanique.
Il faut savoir qu'un véhicule mal entretenu polluera et consommera davantage qu'une voiture en ordre. Déjà qu'une voiture en ordre qui parcourt annuellement 20 000km rejette quatre tonnes de CO2 dans l'atmosphère, alors imaginez celle qui n'est pas bien entretenue...
Et des véhicules mal entretenus, il en circule sur les routes. Plus encore sur les routes où aucun programme d'inspection n'est en vigueur.
Nous avons consulté différentes sources et malgré la diversité des tests, des études et des régions, une constante demeure: là où il n'y a pas de programme d'inspection, de 25% à 40% des véhicules sont délinquants, côté pollution.
Ce qui fait dire à Simon Matte, président de la Table de concertation sur l'environnement: "Être propriétaire d'un véhicule ne comporte pas que des avantages. Cela comporte aussi des obligations que l'on considère comme normales: obtenir un permis, payer de l'assurance, l'immatriculer, le conduire selon le Code de la route, même de lui mettre des pneus d'hiver au moment prévu. Il est plus que temps de reconnaître que les véhicules nécessitent un entretien minimum pour êtres performants, sécuritaires et moins polluants."
Constat #5: On n'en meurt pas tant que ça
J'suis pas médecin, mais j'ai toujours un gros doute en tête lorsque j'entends des associations clamer que la mauvaise qualité de l'air tue 2000 personnes par année à Montréal.
On n'entrera pas dans une guerre de chiffres, mais qu'on mette tout de suite quelque chose au clair: la mauvaise qualité de l'air (le smog) n'est pas que l'apanage des véhicules.
Retirer tous les véhicules polluants de la région métropolitaine n'enrayera pas le smog.
Et ne sauvera pas 2000 vies.
D'ailleurs, Drew Shindell, chercheur à la NASA (oui, oui, à la NASA!), croit que 2000 décès à Montréal, c'est exagéré.
M. Shindell a étudié les bienfaits, sur le climat, la santé et l'agriculture, des normes d'émissions automobiles plus sévères pour les véhicules neufs. Et il a découvert que ce resserrement, en Amérique du Nord, réduira la mortalité prématurée de 16 000 victimes... en 2030.
Dont un millier au Canada.
"Le chiffre de 2000 victimes uniquement à Montréal m'apparaît très élevé, dit-il. Il doit donc être obtenu en tenant compte de toutes les sources de smog, pas que celles automobiles."
Reste que d'améliorer la qualité de l'air en bannissant de nos routes les véhicules les plus pollueurs aidera non seulement à réduire le smog, mais aussi à contrer le réchauffement climatique (qui est en soi une autre problématique).
Et peut-être même à sauver nos intelligences.
Vous avez bien lu: nos intelligences.
En effet, une étude mené aux États-Unis auprès d'un groupe de femmes enceintes, qu'on avait munies d'un moniteur mesurant la qualité de l'air, montre que l'exposition prénatale aux émissions polluantes automobiles a des conséquences.
Trois ans après la naissance, leurs enfants souffraient de capacités mentales plus lentes que ceux qui n'avaient pas été exposés;
À cinq ans, leur IQ était d'environ 4 points sous la moyenne des enfants non exposés;
Et à sept ans, ils souffraient davantage d'anxiété, de dépression et de problèmes d'attention.
De quoi vouloir déménager en campagne, non?