Faire travailler le 'mental', diraient Les Boys...
Tout a débuté à Montréal avec Jacques Dallaire, originaire d’Oshawa en Ontario, et Dan Marisi, de la Saskatchewan, alors enseignants en éducation physique à l’Université McGill.
À l’époque, pour ceux qui se souviennent, la condition physique des pilotes automobiles n’était pas reconnue comme un élément influençant la victoire en piste. «Même si certains essayaient de s’entraîner de façon non structurée, les pilotes de F1 ne se considéraient pas comme des athlètes, raconte Jacques Dallaire. Ils sentaient bien que la forme physique était importante, mais ils ne savaient comment l’aborder.»
Mais voilà, l’étudiant René Fagnan (aujourd’hui journaliste de sport automobile) a voulu aborder le sujet. Il se souvient: «La mission universitaire était de développer un programme d’entraînement physique pour athlètes. J’ai choisi de me concentrer sur les pilotes de course; après tout, les écuries investissaient des millions de dollars dans leurs voitures, mais rien dans leurs pilotes.»
Piquet, Mansell, Senna… des volontaires de choix
Le Grand Prix de Montréal, au début des années ’80, a été l’occasion idéale d’intéresser à la chose des pilotes de haut niveau. D’abord Didier Peroni et Gilles Villeneuve en 1982, puis Nelson Piquet et Nigel Mansell en 1983, voire Ayrton Senna l’année suivante.
Tous se sont portés volontaires afin de participer à l’expérience. René Fagnan en a tiré des conclusions surprenantes pour l’époque: «Nous avons découvert que les demandes physiques imposées sur l’organisme des pilotes étaient beaucoup plus importantes que soupçonné. Que courir un Grand Prix, c’était un peu comme courir le marathon avec un ensemble complet de ski sur le dos!»
Gabriel Gélinas, ancien pilote et aujourd’hui journaliste automobile, estime que Dallaire et Marisi ont été «parmi les premiers scientifiques à s’intéresser à l’idée du pilote comme athlète.» Lui-même a servi de cobaye: «J’ai subi une série de tests d’évaluation en flexibilité, cardiologie, concentration, psychologie... Les responsables mesuraient tout! J’ai littéralement été analysé comme nous, on analyse un véhicule.»
Jacques Dallaire et Dan Marisi entrevoient là un monde de possibilités. Ils délaissent leur emploi d’enseignant et mettent au point un programme destiné à améliorer les performances des coureurs automobiles en piste. Et maintenant qu’ils ont découvert l’importance de l’élément physique, leur intérêt se porte sur… le «mental».
Faire le focus
De fil en aiguille, l’entreprise Human Performance International (HPI) est créée – elle est aujourd’hui établie à Huntersville, en Caroline du Nord. Et le facteur humain est devenu sa priorité. D’ailleurs, «si vous demandez aux pilotes quel est l’élément le plus important qui leur permette d’être efficace derrière le volant d’une voiture de performance, la plupart vous diront que c’est la capacité de faire le ‘focus’,» dit Jacques Dallaire.
Focus, concentration… Y parvenir, c’est une chose. Demeurer dans la «zone», même lorsque les choses ne tournent pas rond, c’est une autre paire de manches – et c’est ce sur quoi se penche HPI.
Les pilotes ou aspirants pilotes qui s’y offrent un stage (12 000$ américains, pour ceux que ça intéresse) passent d’abord deux jours en laboratoire, où leur condition physique, leurs habiletés mentales et visuelles, de même que leurs états nutritionnel et médical sont décortiqués dans les moindres détails.
Un plan d’action personnel, le «modèle de performance individuel», leur est alors proposé – il sera secondé par une année entière de «coaching». Il n’est pas rare de voir Jacques Dallaire déambuler autour des circuits de course, à l’écoute de ses clients.
Rencontré lors d’une mission de parrainage à la piste de Tremblant, il nous a servi une mise en garde : «Notre programme est très efficace, mais il est loin d’être magique. Ses règles sont simples et celui qui s’engage à les respecter doit travailler très fort, notamment afin de changer sa façon de penser. Entre vous et moi, c’est vraiment là que l’on voit les champions…»
En 25 ans, l’entreprise dit avoir travaillé avec 600 pilotes originaires de 30 pays et évoluant en F1, mais aussi en Champ Car, IRL et Winston Cup. Neil Micklewright, vice-président des opérations chez Player’s-Forsythe Racing Team en 2003, n’a pas tari d’éloges sur le programme: «Nous avons finalement réussi à remporter, avec notre pilote Paul Tracy, le championnat mondial de CART. Je crois fermement que l’intégration du modèle de performance à même nos activités quotidiennes a significativement contribué à notre victoire d’équipe.»
Ce qui est bon pour les pilotes automobiles l’est aussi pour d’autres. Ainsi, le programme d’optimisation des performances s’est étendu, au fil des ans, à d’autres sphères de haut niveau: athlètes sportifs, pilotes d’avions de chasse, chirurgiens, dirigeants d’entreprises, avocats. «Je travaille avec des gens qui s’intéressent à leurs performances et qui évoluent dans des métiers de pointe, conclut M. Dallaire. Autrement dit, je travaille avec les champions du millénaire.»
Loin de lui, cependant, l’idée de renier la course automobile. «Après tout, c’est elle qui nous a fait connaître!»