Cours de conduite obligatoires: il était temps!

Dossiers
mercredi, 24 mars 2010
Les cours de conduite redevenus obligatoires au Québec: la 11e Plaie d’Égypte ou la 8e Merveille du monde? La réponse varie, selon l’âge des interrogés…

Lorsque la ministre des Transports du Québec, Julie Boulet, a énoncé en 2007 (l’année de la Sécurité routière) son intention de ramener les cours de conduite obligatoires, alors qu’ils avaient été déréglementés dix ans auparavant, les experts de la sécurité routière n’ont pas, mais pas du tout applaudi.

Les Jean-Marie DeKoninck (fondateur d’Opération Nez-Rouge), CAA Québec et autres spécialistes de ce monde ont tous rappelé au gouvernement les études menées en Europe dans les années 90, et qui démontraient que les cours de conduite, là-bas, n’avaient eu aucune incidence sur l’amélioration du bilan routier.

En vain.

La ministre Boulet est allée de l’avant avec le chapitre 40 de sa loi 42 et, depuis le 17 janvier dernier, tout nouveau conducteur (ils sont environ 100 000 par année), qu’importe son âge, est tenu de passer par l’école de conduite.

Félicitations pour votre beau programme!

Aujourd’hui, surprise : même les plus opposés au retour des cours de conduite obligatoires se rangent derrière la ministre. Et ils vont jusqu’à déclarer que le nouveau Programme d’éducation à la sécurité routière (c’est son nom…) a tout ce qu’il faut pour former une nouvelle génération de conducteurs, responsables et respectueux (!).

«Le nouveau programme réussit à faire passer le message que la conduite, ce n’est pas banal, dit Jean-Marie DeKoninck. On y parle des thèmes de l’heure, j’ai d’ailleurs été surpris d’y retrouver l’éco-conduite et les dangers de la fatigue au volant. Je crois qu’on a là quelque chose de très moderne.»

Même contentement chez CAA Québec: «On n’appuyait le retour de l’obligation que si les cours étaient conçus de manière à favoriser le changement d’attitude et de comportements, dit Yvon Lapointe, directeur de la sécurité routière. Pour nous, c’était la condition essentielle, sinon on aurait continué de s’opposer à quelque chose qui n’aurait rien donné.»

Et alors? «Eh bien, dit M. Lapointe, on pense que le nouveau programme a tout ce qu’il faut pour amener les jeunes conducteurs à réfléchir aux conséquences de leurs gestes.»

Et les autres experts interrogés de tenir le même discours.

Pour tout dire, pas un intervenant interviewé dans le cadre de notre recherche n’a émis de commentaire négatif contre le retour des cours de conduite obligatoires sous leur nouvelle forme.

Avouez, c’est quand même rare…

Dis-moi ton résultat à l’examen…
Reste que les jeunes qui doivent désormais débourser (un maximum de 825$) afin de suivre des cours qui, il y a deux mois, n’étaient toujours pas obligatoires, ne la trouvent pas drôle. «Avoir su, j’aurais pris mon permis avant», dit Julie G., âgée de 19 ans.

Dommage que Julie n’ait pas suivi un tant soit peu l’actualité, sinon elle aurait su qu’au départ, on visait même octobre 2009 pour le retour des cours de conduite obligatoires. La mise en chantier aura demandé un trimestre de plus, et pour cause: «C’est majeur, cette nouvelle philosophie, c’est même très agressif, dit Jean-Marie DeKoninck. Et ça représente tout un défi!»

Lise Tourigny, chef du service des usagers de la route à la SAAQ, parle d’un programme tout à fait innovateur en Amérique du Nord et qui, d’ailleurs, sera présenté sous peu en Europe. Il a été développé en concertation avec l’industrie des écoles de conduite, mais aussi des professionnels de la pédagogie et une horde d’experts de la sécurité routière.

Pour Julie cependant, la nouvelle formule n’est qu’une occasion (dont elle se serait bien passé…) de faire «du social»: «On parle, on discute de quel genre de conducteur on est, c’est davantage de la conscientisation que des notions. Ce que j’ai appris, j’aurais tout aussi bien pu le lire à la maison.»

Mais là encore, peut-être que Julie aurait dû se pencher davantage sur les manuels qu’on lui a remis à titre de références. Parce qu’à l’examen théorique qui suit le premier module du cours, et qui précède l’obtention du permis d’apprenti (nécessaire pour le volet pratique), elle dit être… «passée par la peau des fesses».

… et je te dirai quel conducteur tu fais!

Amélie B., 16 ans, émet un autre son de cloche. D’abord, elle a mieux fait que Julie à ce premier examen : « J’avais bien étudié », explique-t-elle simplement.

Aussi, elle dit apprécier que le cours soit davantage interactif que théorique. «Je suis surprise : je m’attendais à écouter le prof et à suivre dans un livre, alors qu’on discute en groupe, on travaille en équipe… C’est pas mal moins ‘plate’.»

Certes, Amélie trouve que la formation, «avec ses cours qui s’étirent deux heures aux deux semaines, c’est long.» Mais : «Je suis d’accord avec le principe : tu ne peux pas te lancer sur la route sans au moins posséder une base.»

Jessica L., sur le point de célébrer ses 16 ans, renchérit : «C’est bien, comme cours. On cherche à nous sensibiliser et on nous dit des choses très intenses. Tout le monde sait que l’alcool et la drogue ne vont pas avec le volant, mais quand on te donne l’exemple d’une fille de Laval morte après avoir perdu le contrôle de son auto… et que plusieurs personnes dans la classe disent l’avoir connue, ça ‘punch’!»

Pire pour les garçons

Merci à l’école Tecnic de Laval de nous avoir, pour les besoins de notre recherche, réuni ces trois étudiantes. Vous remarquerez toutefois que pas un étudiant masculin ne s’est porté volontaire.
Dommage…

La SAAQ englobe tous les jeunes, garçons et filles, quand elle révèle que s’ils ne représentent que 10% des conducteurs, les 16-24 ans sont quand même impliqués dans le quart (25%) des accidents de la route.

Heureusement, le Bureau d’assurance du Canada (BAC) est plus précis quant à la propension des jeunes conducteurs masculins à provoquer davantage d’accidents que les filles. Ainsi, selon ses dernières statistiques, 14% des garçons chez les 16-20 ans ont présenté une réclamation après une collision responsable, contre 10% chez les filles (la moyenne des conducteurs de tout âge est de moins de 5%).

Cette réclamation, elle aura également coûté plus cher aux assureurs pour les garçons que pour les filles : 5356$ contre 4604$. Et c’est presque le double de la moyenne, toutes catégories d’âge confondues. (Voir notre tableau ci-dessous.)

Pas bien conduire, mais bien se conduire

Qu’en est-il donc, finalement, de ce fameux nouveau Programme? Il faut savoir qu’au départ, il fait table rase sur les leçons de conduite qui avaient cours jusqu’à maintenant – vous savez, cet interminable laïus sur les différents panneaux de signalisation et le Code de la sécurité routière?

Demeurée en place après la déréglementation de 1997, cette formation était quand même suivie par 60% des nouveaux conducteurs. Quatre fois sur cinq, l’étudiant était un jeune de 16-24 ans.

Surpris de cette assiduité en classe pourtant non requise de la part de nos ados? Rappelons que celui ou celle qui suivait les cours de conduite facultatifs pouvait obtenir son permis probatoire en huit mois plutôt qu’en 12 mois. Cet incitatif, doublé d’une réduction du coût de la prime d’assurance, a bien fonctionné, semble-t-il.

Bon, table rase, disions-nous. Et comment : fini le cours magistral et le contenu «par-cœur», bonjour l’approche par compétences. Ce grand énoncé pédagogique implique essentiellement des mises en situation, des interactions, du travail en groupe et des recoupements d’apprentissage.

Autrement dit, on ne parle plus d’apprendre à bien conduire, mais à bien se conduire, en mettant davantage l’accent sur l’attitude que sur l’aptitude. On demande à l’étudiant de réfléchir (pensez-y un moment : réfléchir!) et de prendre les bonnes décisions.

Bref, depuis le 17 janvier, c’est la grande révolution sur les bancs des écoles de conduite. Encore faut-il que l’industrie des écoles de conduite s’adapte, elle aussi. Une histoire à suivre…

Bureau d’assurance du Canada - Assurance automobile – 2008
                                    Âge       Homme    Femme
Fréquence                16-20 ans    14%        10%
des réclamations       21-24 ans     9%          7%
(collision resp.)       Tous les âges  5%          5%
Coût moyen               16-20 ans    5356$   4604$
du sinistre                  21-24 ans    4796$   4005$
(collision resp.)       Tous les âges  3696$   3304$

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