Constructeurs chinois en Amérique: Le péril jaune est-il en la demeure?

Dossiers
dimanche, 20 janvier 2008
Il y a deux ans, le salon de l’auto de Détroit accueillait un tout premier constructeur chinois. La faune journalistique avait alors rigolé à la vue des véhicules mal assemblés et de style grossier. Cette année, rien de moins que cinq constructeurs chinois participent au grand rendez-vous automobile. Pas besoin de lire dans les feuilles de thé pour comprendre que les voitures chinoises sont sur le point de débarquer.

Salon de l’auto de Détroit, janvier 2006: Geely devient le tout premier constructeur chinois à participer au plus important rassemblement automobile nord-américain. Même relégué dans un coin du hall d’entrée, il suscite un intérêt soutenu.

Ceux qui ont pu s’asseoir dans sa berline CK5171 ont cependant vite compris que la qualité n’était pas au rendez-vous. Les chiffres de l’étrange désignation décollaient du coffre, les portières se refermaient mal et la boîte à gant ne voulait pas collaborer.

Les dirigeants de Geely ont vite verrouillé les portières, mais c’en était fait, de la première impression ‘chinoise’: «Sincèrement, lorsque j’ai vu ces premiers véhicules chinois, je croyais à une blague,» lance Larry Webster, du réputé magazine américain Car and Driver.

Salon de l’auto de Détroit, janvier 2008: cette année, ils ont été cinq constructeurs chinois à se pointer à la Mecque de l’automobile. La plupart se sont retrouvés dans la salle d’exposition, avec les grands de ce monde. Et cette fois, les portières n’étaient pas verrouillées.

Chez BYD, nous avons pris place dans la F6, une berline intermédiaire dont le style extérieur laisse à désirer, mais dont la finition intérieure constitue un indéniable pas de géant, comparé aux véhicules d’il y a deux ans. «Aujourd’hui, je ne suis plus sûr d’avoir affaire à une blague,» dit Larry Webster.

Plus question de rire, en effet, Le grand mystère n’est plus de savoir si les véhicules chinois débarqueront en Amérique du Nord, mais bien quand ils le feront. Et qui sera le premier à le faire.

Chamco dit qu’il le sera. Cette entreprise américaine liée à la chinoise ZX Auto entend distribuer un utilitaire et une camionnette en sol américain d’ici la fin 2008. Les prix seront 20% moins élevés que la concurrence – pensez 13 500$US pour les versions de base.

Le Canada fait aussi partie des plans, confirme Richard Kalika, vice-président aux ventes de Chamco. «Mais il lui faudra patienter de trois à six mois après notre arrivée aux États-Unis, le temps de nous conformer à ses propres normes.» Voilà qui signifie un possible débarquement à l’été 2009.

Autre constructeur chinois qui jure de débarquer sous peu: Changfeng. Celui qui en est à son second passage à Détroit affirme que ses ventes sur le continent débuteront d’ici deux ans. De son côté, si BYD mettra un peu plus de temps, c’est parce qu’il veut se démarquer en proposant des voitures hybrides. «D’ici trois à cinq ans, nous serons en mesure d’offrir à l’Amérique du Nord notre technologie ‘double-mode’,» dit Micheal Austin, vice-président de BYD America.

Pour ce faire, BYD, qui fabrique des piles pour les outils et les cellulaires, mise sur le fer plutôt que le lithium, contrairement à la majorité des autres constructeurs. Aux dires de M. Austin, un premier véhicule pourrait s’amener de ce côté-ci du Pacifique avec une autonomie de 330 kilomètres et un prix d’étiquette de «20 000$ ou 30 000$».

C’est du jamais vu dans industrie automobile. Soulignons que BYD n’assemble des véhicules que depuis 2003. Et qu’interrogé quant à ces piles ‘ferreuses’, Tom Stevens, spécialiste des groupes motopropulseurs chez General Motors, a sèchement répliqué: «Jamais entendu parler de ça. Et pourtant, j’en connais un rayon, sur les piles.»

Le Québec est intéressé

Certes, le scepticisme à l’égard des Chinois a régné à Détroit, mais cela ne les a pas empêchés de faire promesses sur promesses.

Chamco, par exemple, dit vouloir importer de six à huit modèles d’ici cinq ans. Et à sa première année d’activités, il veut pouvoir compter sur 150 points de ventes aux États-Unis, 25 au Mexique et une trentaine au Canada.

D’ici cinq ans, il en veut 400 chez nos voisins du Sud, 75 au Mexique et 80 au pays de la feuille d’érable. Le défi est considérable. À preuve : le constructeur japonais Mitsubishi a ouvert, depuis son débarquement en sol canadien en 2003, les portes de 67 concessionnaires.

Le représentant de Chamco, Richard Kalika, a néanmoins confié qu’une entente venait tout juste d’être signée pour un premier point de ventes canadien de véhicules chinois, à Hamilton en Ontario. Rien encore d’officiel pour la belle province, mais il assure que «les négociations vont bon train avec plusieurs concessionnaires et distributeurs.»

Jacques Béchard, directeur de la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec (CCAQ), remarque un intérêt grandissant, au Québec. «Au fil des derniers mois, j’ai reçu une dizaine d’appels de membres qui ont des locaux disponibles et qui se disent prêts à tenter l’aventure, dit-il. Bien sûr, il faudra que les exigences d’affaires ne soient pas trop sévères.»

Norman Hébert, président du groupe Park Avenue sur la Rive-Sud de Montréal, est lui-même intéressé. «Comme homme d’affaires, je me dois de regarder toutes les opportunités.» Il admet cependant: «J’ai vu les véhicules chinois il y a quelque jours à Détroit, et je considère qu’ils sont encore très modestes sur le plan design.»

M. Hébert soutient que les Chinois «ont la masse critique et la force financière nécessaires» pour s’attaquer au marché nord-américain, mais «qu’une échéance d’un an ou deux pour établir un réseau de distribution et de ventes paraît fort agressif.»

Pas encore à la hauteur

D’immenses défis attendent les constructeurs chinois qui souhaitent s’implanter en Amérique du Nord. D’abord, la plupart ne détiennent une capacité de production que de 100 000 véhicules par an – c’est deux fois moins qu’une seule usine nord-américaine.

Les normes de sécurité et d’émissions sont aussi là pour les freiner. Ces normes, le chinois Geely a été incapable de les respecter, l’an dernier. «Ils ont définitivement bien mal paru lors des tests de collision,» confirme Eric Bolton, porte-parole à l’américaine National Highway Trafic and Safety.

Geely prévoyait vendre des voitures sur notre continent dès l’automne 2008, mais il a dû retourner à sa table à dessin et repousser à 2009 l’arrivée possible d’une première berline compacte.

Autre obstacle à surmonter: la perception des consommateurs à l’égard des produits «made in China». «Pour l’heure, les constructeurs chinois sont novices dans la fabrication de voitures, dit Larry Webster, du magazine Car and Driver. Leur assemblage et leur finition ne respectent définitivement pas nos standards.»

Selon Dennis DesRosiers, les premiers véhicules chinois souffriront d’une image très négative: «Les Chinois vont assurément vendre des véhicules sur notre marché d’ici un an ou deux, mais il s’agira de ‘cheap cars’ qui feront concurrence aux véhicules usagés plutôt qu’aux véhicules neufs, dit l’analyste automobile canadien. Il faudra au moins cinq, sinon dix ans avant qu’une marque chinoise ne s’implante véritablement chez nous.»

Les Chinois : plus de chances au Québec?

Quel impact, pour le Québec, que le débarquement de véhicules chinois? Positif pour les consommateurs, semble-t-il, mais difficile pour les concessionnaires.

«Au Québec, où les gens sont friands de petites voitures économiques, il y aura certainement un bon marché pour ces véhicules chinois abordables,» dit Norman Hébert.

Comme une telle compétition s'insèrera dans un marché déjà très concurrentiel, elle viendra forcer les prix, au grand bonheur des consommateurs. À condition que la marchandise soit à la hauteur, met en garde M. Hébert: «Et ça, c’est le client qui décidera. Rappelez-vous les premières Hyundai Pony…»

Tant les constructeurs que les concessionnaires savent que les Chinois se pointent rapidement dans leur rétroviseur. «À long terme, cela signifiera de nouveaux joueurs qui viendront partager la tarte, dit Jacques Béchard, de la CCAQ. Et notre tarte, au Québec, représente bon an, mal an, quelque 400 000 véhicules neufs.»

«Nous ne pouvons pas ne pas prendre les Chinois au sérieux, conclut Stephen Beatty, directeur gestionnaire de Toyota Canada. Certes, ils ont encore beaucoup à apprendre, mais nous devons nous y préparer. Et ce n’est pas fini : dites-vous qu’après les Chinois, il y aura… les Indiens!»


La Chine: à peine 27 véhicules par mille habitants

La Chine connaît l’une des plus importantes croissances des ventes automobiles du monde, avec 22% en 2007. Selon la Scotia Bank, la pénétration automobile en Chine est de 27 véhicules par millier d’habitants – un ratio qui grimpe à 610 pour les pays du G7. Certes, les cinq millions de véhicules vendus l’an dernier en Chine ne représentent que le tiers de tous les véhicules vendus aux Etats-Unis. Les analystes prédisent toutefois que dans une décennie, la Chine aura surpassé le géant américain et sera devenue LE plus important marché automobile de la planète.

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