Alcool au volant: et si c’était la tolérance zéro qu’on visait?

Dossiers
mardi, 17 décembre 2024
L’idée de la limite légale à 0,05% pour tous les conducteurs au Québec échauffe – encore cette année – les chaumières. Mais si on visait plutôt la tolérance zéro?

Ce n’est pas d’hier que Québec discoure de la possibilité d’abaisser à 50 mg par 100ml de sang (0,05%) la limite légale d’alcoolémie pour conduire. Il y a une décennie et demie déjà, votre soussignée écrivait que le gouvernement (alors libéral) envisageait l’imposition de sanctions administratives pour tous les conducteurs de la Belle Province affichant un taux d’alcoolémie entre 0,05% et 0,08%. Mais le projet de loi est mort au combat. Cette fois, c’est le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ)… qui ne veut rien savoir d’abaisser la limite légale. Est-on plus fou qu’ailleurs? Peut-être pas.

Le Québec, seule province sans sanctions administratives

Vous le savez, le taux d’alcoolémie à ne pas dépasser par les conducteurs au Canada est de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang – communément appelé le «point zéro huit» (0,08%). Passée cette marque, des accusations criminelles peuvent être portées – avec toutes les conséquences et tous les coûts subséquents. CAA-Québec a déjà estimé qu’il peut «facilement en coûter jusqu’à 6200$» à un conducteur qui se fait prendre à conduire avec les facultés affaiblies par l’alcool.

Mais saviez-vous que toutes les autres provinces canadiennes se sont dotées d’un seuil plus sévère à 0,05% (et même à 0,04% en Saskatchewan)? Ailleurs au pays, les conducteurs qui «soufflent dans la balloune» entre ce seuil et le 0,08% s’exposent à des amendes, à des suspensions temporaires de leur permis, à des points d’inaptitude et même à une saisie de leur véhicule.

C’est le cas partout au Canada… sauf au Québec (et au Yukon). À travers le globe, la plupart des pays industrialisés – exception faites des États-Unis – imposent aussi une limite d’alcoolémie de 0,05% pour la conduite automobile.

Vous avez bien lu: le Québec demeure la seule province canadienne – et l’une des rares juridictions «développées» sans sanctions administratives à partir de 0,05%. Et ce, même si à peu près tous le experts le recommandent depuis des années.

Ce que disent les experts

D’un côté, il y a les recommandations des experts de la santé et de la sécurité publique québécoises, qui rapportent qu’à partir d’une alcoolémie de 0,05 %, notre conduite automobile a déjà commencé à être affectée – et de manière significative.

De l’autre, il y a ces plaidoyers de coroners québécois qui ont dû se pencher sur des collisions routières mortelles impliquant l’alcool.

Il y a aussi ces supplications répétées de différentes associations reconnues, notamment CAA-Québec, qui rappelle que le Québec fait bande à part en n’imposant pas ne serait-ce qu’une suspension temporaire du permis de conduire à partir de 0,05%.

Et enfin, il y a la prise de position particulièrement forte de la SAAQ, qui a étudié qu’avec un taux d’alcoolémie de 0,05%, les conducteurs sont quatre fois et demie plus à risque d’être responsables d’une collision mortelle que s’ils étaient sobres.

Mais malgré tous ces avis, le Québec résiste encore. Et pour justifier ce refus d’aligner la Belle Province avec qui prévaut pourtant dans le reste du Canada – et du monde, la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Mme Geneviève Guilbault, soutient qu’on en fait déjà assez. Euh… elle n’a peut-être pas tort.

Et si la ministre avait raison?

On peut penser qu’on n’en fera jamais assez au chapitre de l’alcool au volant. Après tout, la problématique tue, bon an mal an, près du quart des victimes sur les routes du Québec. Mais reste quand même qu’il faut donner raison à Mme Guilbault.

D’abord, il est vrai que «chez-nous», comme la ministre le mentionne, on tape plus fort qu’ailleurs au pays sur le clou des récidivistes. Par exemple, nous demeurons la seule législation canadienne à pouvoir imposer l’anti-démarreur à vie. Dans les autres provinces, le maximum est de 10 ans.

Par ailleurs, les statistiques de la SAAQ démontrent que le problème n’est pas là. En effet, de tous les conducteurs décédés sur les routes du Québec ces dernières années et qui ont été «testés» pour alcoolémie, seul un tout petit nombre (en moyenne 1,4%) affichaient un taux entre 0,05% et 0,08%.

De fait – oh surprise: les conducteurs décédés (et testés) au Québec qui affichaient un taux d’alcoolémie plus faible (entre 0,01% et 0,05%) sont en moyenne trois fois et demie plus nombreux.

Donc, si on voulait frapper sur le bon clou, ne serait-il pas plus logique d’y aller d’une politique de Tolérance Zéro pour tout le monde? Ish, que ça va chialer dans les chaumières…

Les récidivistes – encore et toujours

Ce tableau, puisé à même le bilan routier 2023 de la SAAQ, illustre par ailleurs qu’encore et toujours, ce sont les grands buveurs – et les récidivistes de l’alcool au volant – qui sont près de 20 fois plus nombreux à venir gonfler les statistiques.

Autrement dit: malgré toutes les campagnes en ce sens et toutes les sanctions imposées au fil des années, ceux qui prennent le volant avec une alcoolémie supérieure à la limite légale continuent de le faire sans se soucier des lois. Et en moyenne, une quarantaine d’entre eux meurent chaque année au Québec, soit 10% de toutes les mortalités routières.

Et les autres victimes ?

Avez-vous noté que jusqu’à présent, on a parlé «des conducteurs décédés ayant subi un test d’alcoolémie»… et non de l’ensemble des conducteurs décédés?

En effet, rien n’est dit concernant les autres victimes que ces collisions mortelles peuvent faire. Et rien n’est dit quant aux usagés de la route morts ou blessés par la faute d’un conducteur éméché… qui, lui, a eu la chance de s’en sortir.

C’est pourquoi la SAAQ a réalisé en 2023 une analyse de faisabilité sur l’impact d’un resserrement des règles à 0,05% au Québec. Le rapport, tout récemment rendu public sur son site Internet, se résume ainsi: «L’introduction de sanctions pour des alcoolémies de 50 mg ou plus permettrait d’éviter annuellement de 3 à 9 décès et environ 10 blessés graves dus à l’alcool au volant au Québec.»

Loin de nous l’idée d’être insensible à ne serait-ce qu’une seule victime, mais il faut mettre en perspective:

  • En 2023 au Québec, la route a fait 380 morts et 1270 blessés graves;
  • Les trois principales causes des collisions mortelles sur nos routes ont été la vitesse, l’alcool et la distraction;
  • L’alcool au volant fait en moyenne 90 décès par année sur les routes du Québec (soit près du quart de tous les décès) et en moyenne 200 blessés graves (soit 15% de tous les blessés graves);

Pouvoir sauver de 3 à 9 vies par année représenterait donc 3% moins de décès sur les routes du Québec, toutes causes de mortalité confondues. Dix blessés graves en moins représenteraient une réduction de 0,7% de tous les blessés graves que la route fait annuellement.

Pour ceux qui s’interrogent sur le volet financier de la chose, la SAAQ a aussi livré une estimation: «Cette baisse permettrait de réduire les coûts d’indemnisation de 2,2 à 3 millions de dollars par année.» Soit une infime portion (0,3%) des 1,1 milliard de dollars que la SAAQ verse annuellement (2022) en indemnisations aux victimes de la route.

Et si c’était Tolérance Zéro pour tout le monde?

On comprend donc mieux ce qui se trouve derrière la résistance du gouvernement (ça… et le lobby des bars et des restaurateurs!) à l’idée de s’embarquer dans de lourds amendements à la réglementation actuelle.

Mais s’il le faisait, peut-être que son prochain projet de loi présenté à l’Assemblée nationale pourrait proposer la Tolérance Zéro pour tout le monde – comme c’est le cas en Slovaquie et en Hongrie. Ou, à tout le moins, une limite où il est prouvé que la conduite automobile est nettement moins affectée par l’alcool. Des exemples? L’Allemagne et le Japon imposent le 0,03%.

Même qu’en Suède et en Norvège, réputés être des champions de la sécurité routière, c’est le 0,02%. Autrement dit, un seul verre – et bastà, tu ne conduis pas.

Voilà une belle réflexion à entreprendre, alors qu’on aura (bientôt) les pieds sous le sapin de Noël et la tête dans le bol à punch. Déjà, les festivités ont commencé à battre leur plein – et avec elles, fort heureusement, la 41e édition d’Opération Nez Rouge. Votre région n’a pas son Nez Rouge? Sachez que CAA-Québec offre aussi (à ses membres) le service de raccompagnement – et ce, toute l’année. Alors, notre conseil: profitez-en. Profitez-en pour découvrir en toute sécurité à quoi vous ressemblez avec, dans l’nez, un taux d’alcoolémie de 0,05 %. Voici comment faire – et préparez-vous à être surpris…

NOTE: Au Québec, vous pouvez êtes arrêté même si votre taux d’alcool est inférieur à la limite légale de 0,08%. En effet, un policier peut juger que vos facultés sont affaiblies – par l’alcool, la drogue, les médicaments… ou par un simple repas qui ne passe pas. Il peut alors vous mettre en état d’arrestation – même chose si vous refusez de souffler dans l’ivressomètre ou de vous soumettre à des épreuves de coordination de mouvements.

 

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