120km/h sur nos autoroutes? Jamais!

Dossiers
mardi, 18 mai 2010
J’aimerais tellement. J’aimerais tellement vous annoncer que notre gouvernement se penche sur une possible augmentation des limites de vitesse sur nos autoroutes. Mais n’y rêvez même pas: mis à part les automobilistes qui souhaitent rouler plus vite, rien, absolument rien ne penche en faveur d’une augmentation de la vitesse à 110km/h ou à 120km/h.

Ceci établi, vous avez maintenant le choix: ou vous ragez dans votre coin à l’idée que le Québec conserve son 100km/h – alors que le Nouveau-Brunswick ‘roule’ à 110km/h et que certains états américains permettent jusqu’à 75mph (121km/h).

Ou vous prenez trois minutes pour lire ce qui suit et vous diminuerez de moitié votre frustration. Parce que vous comprendrez alors pourquoi, au Québec, il n’est absolument pas question de rehausser nos limites autoroutières…

Petit changement, grosses conséquences

On pourrait vous assommer de chiffres afin de vous convaincre que plus ça va vite sur les autoroutes, et plus les gens se tuent. Et Dieu sait que des statistiques du genre, il en existe une masse aux quatre coins de la planète. En effet, à peu près tous les grands pays développés ont, un jour ou l’autre, modifié leurs limites – à la hausse, mais aussi à la baisse, parfois.

Ne retenons que deux exemples: en 1995, les États-Unis ont décidé de laisser le soin aux états d’implanter leurs propres limites de vitesse. Certaines juridictions ont choisi d’en rester à 65mph (105km/h), d’autres ont augmenté à 70mph (113km/h) et quelques-unes sont même allées jusqu’à 75mph.

Quelques années plus tard, on a étudié les bilans routiers et on a découvert que malgré le nombre croissant de véhicules en circulation, les états qui avaient conservé le 65mph s’en tiraient avec 1% plus de morts sur leurs routes.

Les états qui avaient osé le 75mph, eux, s’en tiraient pas mal moins bien: 20% plus de morts.

Pire: l’augmentation de la vitesse sur les autoroutes a rejailli sur les autres types de routes. Les états qui étaient passés à du 75mph sur leurs autoroutes ont vu leur nombre total d’accidents mortels augmenter de 8%, alors que les états qui avaient choisi le statu quo ont vu leur bilan diminuer de 2%.

Au contraire, certains pays comme l’Australie et la Suède, qui avaient réduit leur vitesse de 110km/h à 100km/h, voire à 90km/h, ont vu leurs décès routiers chuter d’un cinquième.

Bref, qu’on vire l’équation d’un bord ou de l’autre, il faut se rendre à l’évidence: un petit changement dans la vitesse est systématiquement associé à de grands changements dans le nombre de collisions routières, n’importe où sur la planète.

600$ de bonus… et pour Kyoto

Si l’on vous disait qu’à chaque année de bonne conduite au boulot, vous recevriez 600$ de bonus non imposable (grosso modo, 1200$ avant impôt), que feriez-vous? On s’en doute, vous vous conduiriez bien.

Alors, pourquoi persister à rouler à 120km/h sur l’autoroute? C’est bien connu, à cette vitesse, un véhicule bouffe 20% plus de carburant qu’à 100km/h. La règle est tout aussi simple qu’immuable.

Et le calcul, pour Jean-Marie De Koninck, président de la Table québécoise de la sécurité routière, est tout aussi simple : une berline intermédiaire qui respecte les limites de vitesse sur l’autoroute permet en moyenne une économie annuelle de 600$ en carburant. Ne mettez pas en doute cette affirmation : M. DeKoninck est aussi professeur de mathématiques à l’Université Laval à Québec…

Ce père-fondateur de l’Opération Nez-Rouge va plus loin : il soutient  que si, « du jour au lendemain, chaque automobiliste québécois respectait les limites de vitesse affichées, la province épargnerait environ deux milliards de litres de carburant. » C’est Kyoto qui serait content!

Yvon Lapointe, de CAA-Québec, abonde : « À l’heure où tous les efforts sont concentrés sur la réduction des gaz à effets de serre, toute augmentation de la limite de vitesse contribuerait à envoyer un message contraire. C’est une simple question de cohérence! »
 
Réveillez l’ingénieur en vous

Autre aspect à considérer : l’état de nos routes. Pas juste les cahots ici et là, mais l’environnement global. Vous trouvez que les Nouveaux-Brunswickois sont chanceux de pouvoir rouler à 110km/h sur leurs autoroutes? Oui, mais les avez-vous vues, ces autoroutes?

Dégagées, dégagées, dégagées.

Ici, faisons appel à l’ingénieur qui dort en vous, celui qui sait d’instinct qu’une autoroute n’est pas un simple ruban asphalté que l’on pose entre deux villes. Vous n’arrivez pas à le réveiller, cet ingénieur? Alors, fiez-vous à Bruno Marquis, qui travaille à la conception géométrique au Ministère des Transports du Québec.

Jour après jour, M. Marquis se penche sur les autoroutes: celles en devenir, celles à restaurer, celles qui s’érigent ailleurs. Il pourrait vous parler longuement de la besogne qui précède l’élaboration d’une autoroute.

Mais faisons simple: une autoroute, c’est un amalgame de géométrie routière, de normes d’ingénierie à respecter, de calculs de vitesse, de distance et de rayons de courbure, d’accès restreints et d’abords dégagés, de talus en pente douce et d’obstacles suffisamment éloignés pour qu’un véhicule déviant ne vienne pas s’y planter.

D’ailleurs, au Nouveau-Brunswick, remarquez comme la ligne des arbres est reculée, comment les courbes sont allongées et à quel point on voit longtemps d’avance. «C’est une autre planète versus nos autoroutes, dit M. Marquis. D’ailleurs, lorsqu’on y file à 110km/h, on a l’impression de ne rouler qu’à 80km/h.»

Vrai, et c’est traître : on est alors porté à davantage appuyer sur le champignon…

Chassez le naturel…

C’est ce qui nous amène à notre prochain point : pourquoi voulez-vous vraiment des limites à 110km/h, voire à 120km/h? Soyons honnête : à un peu moins de 120km/h au Québec, en vertu d’une tolérance policière non écrite mais combien connue, il y a peu de risques de se faire intercepter.

Alors, pourquoi se casser les nénettes à refaire les courbes, à modifier à grands coups de dollars tous – TOUS! – les panneaux de limitation et à repousser de plusieurs mètres ces obstacles (arbres, poteaux, alouette…) qui deviendraient des dangers à plus grande vitesse?

Pourquoi? Parce que dans le fond de nous-mêmes, automobilistes, nous croyons qu’avec des limites plus élevées, nous pourrions profiter de la même « tolérance » des policiers et rouler encore plus vite : 130km/h, 140km/h…

Vous dites « Non, pas moi »? Peut-être qu’effectivement, pour un temps, la majorité les respectera, ces limites. Mais l’homme et la femme étant ce qu’ils sont, après quelques mois, les mauvaises habitudes reviendront vite au galop…

« Dans leur culture, les Québécois s’attendent à ce qu’une marge de tolérance au-delà de la limite autorisée soit appliquée à l’ensemble du réseau routier, dit encore Yvon Lapointe.

Qu’adviendrait-il de la vitesse effectivement pratiquée si la limite permise était augmentée à 120km/h? »

Dieu le sait et le Diable s’en doute…

C’est pas moi…

Vous trouvez que tout le monde va trop vite. Mais pas vous, «ben non voyons!». Étrange: un sondage mené en 2007 par la Fondation de recherche sur les blessures de la route rapporte que quatre conducteurs canadiens sur cinq disent voir très souvent les autres dépasser les limites.

Mais les mêmes répondants au même sondage disent pourtant, trois fois sur quatre, qu’ils ne les dépassent pas, les limites.

Alors, qui le fait?! Tous et chacun, finalement…

Vous dites que c’est partout pareil? Que non: en Europe, un sondage similaire révèle que seulement le tiers des interrogés trouve que les autres automobilistes roulent plus vite qu’eux. Pas 80%.

Puisqu’on est dans les sondages, laissez-nous vous en présenter un autre : à la SAAQ, on a enquêté sur l’acceptation des limites de vitesse. En 1993, 70% des automobilistes considéraient la limite comme étant adéquate sur les autoroutes. Êtes-vous surpris d’apprendre qu’en 2002, cette proportion avait diminué à 50%?

Cette même SAAQ révèle d’ailleurs qu’aujourd’hui, huit conducteurs sur dix ne respectent pas les limites de vitesse autoroutières. Et on voudrait faire croire que ces mêmes conducteurs respecteraient une limite plus élevée? Hum…

Oui, mais…

Bon, je vous entends argumenter que les véhicules d’aujourd’hui sont équipés de freins ABS, de coussins gonflables et de sécurité active autrement plus poussée.

C’est vrai. Mais tous les véhicules ne sont pas égaux – en termes d’âge, mais aussi de conception. Une Porsche n’attaque pas les virages comme une ‘minivan’, avouez…

Aussi, à bord de ces véhicules, il y a… des gens, rappelle l’instructeur de conduite Pierre Savoy. «Les voitures sont peut-être construites pour rouler plus vite, mais on n’a toujours pas appris aux automobilistes comment les conduire,» dit-il tout de go, mentionnant au passage toutes ces nouvelles distractions qui montent à bord : systèmes de navigation, lecteurs MP3, ordinateurs de bord…  

Surtout, on n’échappe pas aux lois de la physique. Lors d’un impact, la violence des chocs est exponentielle à la vitesse; les dispositifs de sécurité et la structure de la voiture sont alors moins efficaces. Aussi, l’effet «tunnel» va en s’augmentant: de 180 degrés périphériques à l’arrêt, notre vision ne fait plus que 45 degrés à 100km/h – et à peine 30 degrés à 130km/h.

Enfin, il est mathématiquement avancé qu’à 90km/h, on a 60% des chances de s’en tirer vivant.
À 110km/h, on n’a plus que 10% des chances d’en réchapper.

Et à 140km/h, oubliez ça, la chance : il est pratiquement impossible de survivre à pareil impact.

Plus on est, plus on se nuit…

Tous les experts de la sécurité routière vous le diront : dans les années 70, alors que les limites sur nos autoroutes étaient fixées à 70mph (elles sont passées au 100km/h métrique en 1978, avec la création de la SAAQ), le bilan québécois avait atteint des sommets déplorables : 2209 morts par année.

C’est quatre fois et demie plus que les 515 décès notés au dernier bilan routier québécois (2009) et ce, malgré le fait qu’en trois décennies, le nombre de conducteurs a doublé sur nos routes (maintenant à cinq millions de détenteurs de permis québécois).

Mais comme le dit si bien notre ingénieur Bruno Marquis : « Plus on est, plus on se nuit. » Et la tendance ne va certes pas en s’inversant. Alors, pourquoi annuler tous les gains en sécurité routière durement gagnés ces dernières années avec une limite autoroutière plus élevée que… de toute façon, on nous laisse pratiquer presque impunément?

Un jour, ce sera notre tour…

Un dernier aspect à considérer : la population est vieillissante. D’ici 15 ans, un conducteur canadien sur cinq aura plus de 65 ans – contre actuellement un sur huit.

Pris individuellement, les conducteurs âgés sont impliqués dans moins de collisions que la moyenne, dit le Conseil canadien de la sécurité. Mais si l’on tient compte du nombre de kilomètres qu’ils parcourent, ces conducteurs ont plus d’accidents que tous les autres groupes d’âge.

Ces conducteurs sont plus lents, leurs réflexes sont diminués et ils ont généralement la vue qui baisse. Toutes des aptitudes en perte de vitesse qui font que des limites à 120km/h ne seraient pas sécuritaires pour tous.

Tsst, tsst : je vous entends dire qu’il faudrait les retirer de la route, ces têtes grises qui roulent moins vite. Sachez cependant qu’une enquête du Conseil des Aînés a établi qu’après la santé, la deuxième plus grande inquiétude des personnes âgées était… non pas les difficultés financières, ni la peur de mourir, mais bien la perte d’autonomie.

Rappelons-nous qu’un jour, ce sera notre tour…

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