VW TDI un an plus tard: le Dieselgate en 8 faits polluants
1) Le plus gros scandale de la décennie – et peut-être du siècle?
Rien de mieux qu’un portrait en chiffres pour démontrer l’ampleur du Das Skandal de Volkswagen et ses TDI diesel qui secouent la planète automobile depuis un an aujourd’hui:
- un logiciel de mise en échec (le defeat device) qui truque les émissions polluantes;
- une pollution illégale qui contourne les normes nord-américaines – jusqu’à 40 fois;
- l’organisme environnemental canadien Pollution Probe estime qu’en conduite normale, les véhicules Volkswagen TDI visés polluent autant que les automobiles des années 1980, voire des années 1970;
- la supercherie touche les années-modèles 2009-2015 des produits VW, mais aussi Audi et Porsche;
- aux États-Unis: 482 000 véhicules visés;
- au Canada: 107 000 véhicules concernés (soit deux fois plus que notre représentation proportionnelle, dans la mesure où, historiquement, notre marché représente à peine un dixième de celui américain);
- à travers le monde: 11 millions de véhicules VW (et Audi et Porsche) touchés;
- … soit 2,6% (!!!) de toutes les ventes automobiles aux quatre coins du monde, tous types de moteurs confondus, pendant cette période;
- non pas un, mais bien deux rappels frauduleux.
Oui, oui, deux rappels TDI frauduleux, selon des documents de cour rendus publics par Automotive News la semaine dernière.
Un premier en 2014 qui visait à rendre le logiciel de mise en échec plus intelligent encore, question d’épargner à VW des coûts de garantie jugés trop élevés…
… et un autre en 2015, en guise de poudre aux yeux jetée aux autorités américaines qui questionnaient l’écart entre les émissions enregistrées en laboratoire, versus celles obtenues dans la vraie vie, en conditions routières réelles.
Bref, c’est non seulement la plus grande tricherie automobile depuis l’invention des voitures il y a plus d’un siècle, mais c’est aussi, fort probablement, la plus grande tricherie corporative, toutes industries confondues, de la décennie.
2) Une décennie de mensonges et de conspirations
Pas plus tard que la semaine passée, avec la toute première inculpation pour conspiration dans le dossier par la justice américaine, on découvrait que la supercherie avait cours depuis précisément le 3 octobre 2006 – soit depuis une décennie. (Où étions-nous, les journalistes?!?)
En se déclarant coupable à une accusation de complot et en acceptant de collaborer à l’enquête, l’ingénieur de Volkswagen James Robert Liang a permis de lever le voile sur des courriels montrant une supercherie beaucoup plus étendue que d’abord cru.
Et même en mai 2014 (!), lorsque le pot-aux-roses a été révélé par la petite équipe (désormais célèbre) de la West Virginia University, Volkswagen a continué de nier la situation aux autorités américaines qui l’interrogeaient.
À preuve, ces échanges de courriels entre employés de VW et rendus publics par la justice américaine pas plus tard que la semaine dernière:
«Il ne nous faut qu’une raison plausible pour expliquer les émissions (polluantes) aussi élevées!» (le 28 avril 2015)
Et: «Il faut nous assurer que les autorités ne testent pas la Gen1 (génération précédente de motorisations TDI) !… Si la Gen1 se retrouve sur le dynamomètre du CARB (California Air Resources Board), nous n’aurons plus aucune raison de rire!» (29 juin 2015)
Et: «Le mot-clé “créativité” aiderait beaucoup, ici…» (2 juillet 2015)
Enfin: «Le CARB est toujours en attente de réponses… On n’a toujours pas de bonnes explications!» (23 juillet 2015)
La compagnie a nié jusqu’au 3 septembre 2015 – deux semaines avant que n’éclate publiquement le scandale.
3) L’orgueil corporatif démesuré
Vous vous demandez pourquoi tant d’efforts afin de contourner les normes environnementales? Parce qu’en 2008, ces normes devenaient, pour l’Amérique du Nord, les plus sévères au monde, du moins à l’égard de l’oxyde d’azote (le NOx) qu’émettent les moteurs diesel.
À peu près tous les constructeurs automobiles avaient alors dû retirer leurs véhicules diesel du marché et les retourner à la planche à dessin, afin de leur concocter des dispositifs anti-pollution – à commencer par celui à l’urée.
Il a fallu plusieurs années avant que les Mercedes-Benz et BMW nous reviennent avec des motorisations diesel. Mazda a carrément dû déclarer forfait pour sa Mazda6 diesel.
D’autres constructeurs se sont (re)lancés à corps – et à budget perdu dans les hybrides (pensez Toyota), les électriques (pensez Nissan), voire l’hydrogène (Toyota encore).
Seul Volkswagen semblait avoir réussi l’exploit – et aujourd’hui, on comprend pourquoi.
Doit-on rappeler que l’ère moderne de l’automobile voit les Toyota, Volkswagen et GM se disputer, année après année, le titre de plus important constructeur au monde?
4) Le pire, c’est que lorsque ça fonctionne…
Ce qu’il y a d’intéressant dans le rapport désormais célèbre de la West Virginia University (WVU), celui-là même à l’origine de la saga Volkswagen, c’est qu’on y retrouve, au gré de ses 133 pages, tous les détails de la pollution émise par la Volkswagen Jetta 2012 et la Volkswagen Passat 2013 testées.
On apprend ainsi que les deux voitures TDI, soumises à cinq différents parcours californiens, ne polluaient pas de façon constante, mais bien périodiquement.
Mais lorsqu’elles le faisaient, c’était massivement: jusqu’à 40 fois la limite légale nord-américaine. Combe de l’ironie, la Jetta, équipée d’un simple piège à NOx, connaissait ses épisodes les plus polluants lorsque son système de traitement des émissions… entrait en fonction.
Ce qui a le plus surpris Daniel K. Carder, l’un des chercheurs à la WVU et que nous avions pu joindre au téléphone?
Qu’en tests sur dynamomètre, donc lorsque leur logiciel de triche entrait en scène, non seulement les deux Volkswagen respectaient la limite légale, mais elles la surpassaient par trois ou quatre fois.
Vous avez bien lu: les moteurs diesel TDI de Volkswagen peuvent se montrer de trois à quatre fois moins polluants que ne le permet la réglementation actuelle.
Pour l’universitaire, c’était là la preuve que lorsque la switch de contrôle des émissions est activée, les dispositifs de traitement des émissions sont tout à fait capables de faire leur boulot – et de fort belle façon, d’ailleurs.
5) Personne n’en est mort, vous dites? Bien au contraire
Encore aujourd’hui, bon nombre de gens avec qui nous discutons du sujet ont le réflexe d’amoindrir le Dieselgate: «Personne n’en est mort, contrairement au scandale de l’interrupteur défectueux chez GM…» entend-on dire.
Faux: les émissions des moteurs diesel, grands contributeurs au smog urbain, font des victimes. Des chercheurs ont estimé à un demi-million les morts prématurées annuelles sur le territoire européen – là où un véhicule sur deux carbure au diesel.
De ce côté-ci de l’Atlantique, où à peine 3% du parc de véhicules de promenade roulent au diesel, dit l’analyste automobile Dennis DesRosiers, on estime quand même que 130 victimes, en cette année 2016, mourront prématurément de l’excédent de pollution causé par la tricherie de Volkswagen.
Cet excédent de pollution – 37 millions de kilogrammes de NOx – représenterait au bas mot 1% de tous les polluants de NOx émis par les véhicules de promenade l’an dernier sur le continent.
6) Ça va coûter cher
Le scandale n’est vieux que d’une petite année, mais les enquêtes et poursuites vont si rondement aux États-Unis que déjà, Volkswagen a été cloué au piloris pour la plus grosse somme jamais imposée à un constructeur automobile en représailles judiciaires: 15$US milliards en sanctions, en rachats et en compensations aux propriétaires – uniquement aux États-Unis, s’il vous plaît.
En comparaison, Toyota a dû payer 1,2$US milliard pour son accélérateur fou et GM, près de 1$US milliard pour son interrupteur défectueux.
Remarquez, à sa dernière année fiscale complète sans scandale, soit en 2014, Volkswagen déclarait 12,7$US milliards de profits…
Mais c’est loin d’être fini. Des poursuites au civil et au criminel, de même que des recours collectifs (une quarantaine au Canada!) sont lancés à peu près partout à l’international – notamment en Corée du Sud (terre des Hyundai et Kia), en Chine et même en Allemagne, pourtant le fief de Volkswagen.
7) VW: capable de tricher, mais… pas de réparer?
Si, depuis le fatidique 18 septembre 2015, chaque jour apporte tantôt une nouvelle enquête, tantôt un nouvel impact financier, tantôt un nouveau recours collectif… toujours rien quant à une solution technique pour que les Volkswagen TDI respectent les normes, comme il se doit.
Oh, le constructeur a bien tenté de présenter une mise à niveau technologique au printemps dernier, mais l’EPA, le bras environnemental américain, a refusé ladite solution.
Depuis, on attend toujours.
8) Ô Canada
Cette attente est encore – malheureusement – le lot des clients de Volkswagen au Canada.
Il faut toutefois la placer dans le contexte de nos voisins américains qui, incontestablement, y sont allés pour la jugulaire du constructeur allemand.
De fait, la grande surprise de ce scandale, c’est la vitesse et la détermination – pour ne pas dire la férocité – avec lesquelles les autorités américaines ont attaqué ce dossier.
Les conducteurs canadiens de VW auraient bien voulu profiter de l’entente survenue cet été de l’autre côté de la frontière, qui offrira une compensation variant entre 5000$US et 10 000$US à chaque propriétaire de TDI (années-modèles 2009 à 2015), mais…
… les dents gouvernementales ont ici, semble-t-il, moins de mordant.
Quand même: le Bureau de la concurrence a ouvert une enquête le 29 avril dernier. Si rien encore n’a abouti, c’est peut-être parce que «l’ordonnance prévue à l’article 11 de la Loi sur la concurrence, afin d’obtenir plus d’information sur les pratiques commerciales de Volkswagen Group Canada et d’Audi Canada» a été sollicitée auprès de la Cour fédérale du Canada… sept mois après le déclenchement du scandale.
Où en est-on? Quels sont les échéances? Les autorités canadiennes invoquent les procédures en marche pour ne pas émettre de commentaires.
Par ailleurs, en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), toute condamnation est aussi passible, pour une grande entreprise, d’une amende maximale de 6$ millions.
C’est… 0,04% de ce qui vient d’être imposé comme pénalités aux États-Unis. Le tribunal peut cependant ordonner des sanctions supplémentaires s’il juge qu’un bénéfice a été obtenu lors de la perpétration du délit.
La poursuite est (toujours) en cours, le ministère de l’Environnement et du Changement Climatique Canada répond donc à notre demande d’information par ceci (sous la photo):
Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) connaît le détail du projet de règlement civil soumis par Volkswagen aux tribunaux, à l’Environmental Protection Agency (EPA) et au département de la Justice des États Unis. Pour orienter ses prochaines démarches, le Canada suit de près l’évolution du dossier aux États-Unis.
La proposition de projet de règlement civil partiel aux États-Unis répond aux réclamations civiles soumises par le département de la Justice des États-Unis, l’État de la Californie, la Federal Trade Commission des États-Unis et des demandeurs privés. Environnement et Changement climatique Canada ne dispose d’aucun mécanisme similaire en vertu des lois canadiennes.
Outre ces affaires civiles, l’EPA des États Unis poursuit son enquête criminelle de Volkswagen Group of America. Cette enquête est plutôt comparable à la démarche actuelle entreprise par ECCC au Canada, laquelle est également en cours. La politique d’ECCC interdit de divulguer de l’information sur des enquêtes en cours, car cela pourrait compromettre l’intégrité de l’enquête.
La société mère du Groupe Volkswagen Canada inc. et sa filiale aux États-Unis collaborent avec l’EPA des États-Unis et le California Air Resources Board afin d’élaborer une solution technique appropriée. Le Groupe Volkswagen Canada a informé Environnement et Changement climatique Canada que lorsqu’un programme correctif aura été adopté aux États-Unis, toutes les mesures correctrices seront également apportées aux véhicules canadiens.
Comme le stipule le cadre général des dispositions de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) concernant les avis de défaut, Volkswagen Canada est tenu d’informer tous les propriétaires actuels de véhicules visés sur les mesures correctrices applicables à leurs véhicules.
ECCC a récemment rencontré les représentants du Groupe Volkswagen Canada pour discuter de la mise en œuvre des dispositions prises par Volkswagen au Canada.
Malgré le processus de mise en œuvre des mesures visant les véhicules, la Direction générale de l’application de la loi d’Environnement et Changement climatique Canada poursuit ses enquêtes sur l’importation illégale possible de certains modèles de véhicules des marques Volkswagen, Audi et Porsche susceptibles d’être munis des dispositifs défectueux prohibés.