VGA : bonne affaire ou porte ouverte sur le vol automobile?

Dossiers
lundi, 19 décembre 2011
La moitié des VGA - véhicules gravement accidentés - qui entrent au Canada se retrouvent au Québec. Pourquoi? Est-ce que parce qu'on est plus brillant qu'ailleurs et qu'on a flairé la bonne affaire?

Si une médaille pouvait avoir trois côtés, ça serait celle du VGA.

D'un côté, un VGA peut être une bonne affaire. C'est du moins ce que soutient Jean-François Cavanagh, un avocat spécialisé dans le droit automobile qui, depuis une décennie, en a acheté et en roulé huit, des VGA.

Sa toute première? Une Mazda Protegé du Nouveau-Mexique: "Elle était presque neuve, venait d'être accidentée et le toit était à peine défoncé. Il ne m'en a coûté que 3000$ pour la faire réparer - j'ai économisé 30% versus une voiture semblable sur le marché de l'occasion."

D'un second côté de la médaille, le VGA est l'un des bons moteurs économiques de toute une région: la Beauce. La présence de nombreux recycleurs (les cours à scrap, dans le temps) a favorisé une expertise qui s'est développée depuis plus d'un quart de siècle. "Il y a là une vieille tradition, dit Richard Cliche, directeur général de l'Association des marchands de véhicules d'occasion du Québec (AMVOQ). Si je menais une enquête, je découvrirais sans doute que la moitié des véhicules reconstruits dans la Belle Province "se font" en Beauce."

Mais il y a un troisième côté à la médaille, le plus sombre celui-là: "L'étau qui s'est resserré ces années rend le vol automobile de plus en plus compliqué, dit André Drolet, un ancien policier. Ça laisse le VGA comme l'une des dernières belles portes d'entrée pour les criminels."

Le bon côté de la médaille

Les bonnes nouvelles, d'abord. Les VGA sont à leur meilleur, disent les experts interrogés, lorsqu'il s'agit de véhicules de luxe presque neuf - pensez Mercedes, BMW, Audi ou Porsche - et que l'on a reconstruits selon les règles de l'art.

Daniel Laflamme, de ED Autos à Sainte-Marie en Beauce, estime que les économies pour les reconstruits, versus les prix de l'usagé, peuvent toucher les 20%. Jean-François Cavanagh parle même de 30%. "Attention, dit cependant l'avocat. Cette économie, on la perd en valeur de revente diminuée." Ce problème d'équité à la revente ne se pose évidemment pas pour celui ou celle qui a l'intention d'user son reconstruit à la corde.

À ceux qui se demandent: pourquoi la Beauce, plus qu'une autre région du Québec, sachez que c'est la question à "100 piastres". Certains avancent, en guise de réponse, la proximité des frontières américaines ou encore la présence d'un bon bassin de recycleurs. D'autres parlent de l'entreprenariat légendaire des Beaucerons.

Une chose est sûre, nous dit-on: la région est spécialisée dans la reconstruction de petits coupés sport telles les BMW Z4, Honda S2000, Nissan Z, Porsche Boxster.

Dans les règles de l'art

Remontez de quelques lignes et relisez bien: "Dans les règles de l'art". Voilà, le mot est lancé. Gaétan Bergeron, directeur du service de l'ingénierie des véhicules à la SAAQ, l'avoue: il y eut un temps où les reconstruits ne survivaient pas à un simple remorquage. Les châssis se scindaient, les pièces tombaient. Mais "avec les années, soutient-il, les techniques se sont améliorées; avec les bons équipements, la plupart des monocoques peuvent être bien réparées."

George Iny, président de l'Association pour la protection des automobilistes (APA), le confirme: "La compétence en la matière est bonne au Québec et les exigences de la SAAQ sont sérieuses. Il faut sortir de la province pour constater que même quand c'est mal fait ici, c'est mieux fait qu'ailleurs au Canada."

M. Iny rapporte d'ailleurs des cas, dans l'Ouest, de châssis non redressés et "autres horreurs réparées de façon artisanales". Résultat: "Malgré le gros volume de reconstruits au Québec, l'APA enregistre moins de plaintes du Québec, que de la Colombie-Britannique ou de l'Ontario."

La moitié débarquent au Québec

En bon français, un VGA est un véhicule déclaré "Perte totale" par l'assureur, mais qui, contrairement à celui tout juste bon pour les pièces, n'est pas classé "irrécupérable". Et au Québec, des VGA, on n'en manque pas: 44 312 l'an dernier (contre 3089 irrécupérables), dit la SAAQ.

Notez que tous ces VGA ne seront pas reconstruits. Il y a des limites à "VGA-iser": les trop "maganés" et les modèles sans intérêt sont plus utiles (et plus payants) en pièces détachées.

Comme si tous ces VGA ne suffisaient pas, le Québec en importe d'ailleurs: des autres provinces canadiennes (2648 l'an dernier) et presque tout autant des États-Unis (2456 l'an dernier).

Pas étonnant qu'on aime les VGA américains: avec la parité du dollar canadien, les occasions sont intéressantes. Et on sait tous que les véhicules coûtent moins chers de l'autre côté de la frontière - neufs, comme usagés, voire sous forme de carcasses accidentées.

Par ailleurs, s'il  est entendu en assurances qu'au Québec, un véhicule peut pratiquement être réparé jusqu'à concurrence de sa valeur, il en va tout autrement aux États-Unis: "La perte totale est beaucoup plus facile chez nos voisins du sud", dit Julie Bellemare, porte-parole du Bureau d'Assurance du Canada.

"C'est que dans certains états américains, explique Jean-François Cavanagh, les assureurs déclarent un véhicule "perte totale" dès que l'habitacle est un peu touché." Conséquence: de l'autre côté de la frontière, les "pertes totales" dépassent annuellement les 28 millions de véhicules.

C'est six fois plus (!) que tout ce que le Canada vend en termes de véhicules - neufs et usagés - en une année. De bonnes occasions à saisir, donc, surtout quand on a l'expertise pour le faire.

Le côté sombre de la médaille

Là où ça étonne, c'est que c'est au Québec que débarquent la moitié des VGA américains. L'an dernier, l'Ontario en a "ramassés" deux fois moins et la Colombie-Britannique, sept fois moins. Pourquoi les deux autres grands marchés canadiens ne tirent pas tout autant de bénéfices de la situation?

Et c'est là que le côté sombre entre en ligne de compte.

Pour l'heure, au Québec, les VGA sont bien reconstruits - voire mieux qu'ailleurs, soit. Mais... le sont-ils tous avec des pièces légales?

À la limite, sont-ils vraiment reconstruits ou a-t-on plutôt illégalement troqué le numéro de série d'une carcasse américaine... sur un véhicule similaire volé au pays?

Comme le dit l'ex-policier André Drolet, aujourd'hui directeur national pour l'entreprise de marquage antivol Sherlock: "Est-on sûr que c'est le bon véhicule qu'on remet sur la route?"

Déjà, en 2006, l'émission La Facture démontrait que le VGA constituait une porte d'entrée pour le vol et le maquillage automobile. Le reportage tournait autour d'un acheteur qui s'était retrouvé avec une Acura reconstruite de pièces volées. La voiture avait pourtant passé haut la main l'inspection de certification imposée par la SAAQ; le mandataire n'avait pas vu que les numéros de série des pièces utilisées pour la reconstruction étaient ceux d'une voiture... qui roulait toujours en Chine.

La Facture affirmait alors que si la SAAQ veillait à ce que les reconstruits le soient dans les règles de l'art, côté sécurité et mécanique, elle n'assurait malheureusement pas le côté "authentification".

On s'échange toujours la patate chaude

Cinq ans plus tard, rien n'a changé. D'une part, la SAAQ, pourtant chargée de délivrer les licences aux recycleurs, dit qu'au-delà de s'assurer de la sécurité des véhicules reconstruits, elle n'a pas les moyens d'en vérifier la légalité.

Certes, les reconstructeurs doivent lui présenter un dossier étoffé pour chaque véhicule, avec photos et numéros de série à l'appui. Mais la vérification légale ne va - souvent - pas plus loin. "Des reconstruits illégaux, c'est difficile à identifier, admet l'ancien policier Alain Drolet. Seul un expert peut dire si le châssis d'un VGA est le même que ce qui est inscrit dans le dossier."

Et la SAAQ n'en a pas, d'experts. "Nous, on fonctionne avec les papiers qui nous sont soumis, dit Gaétan Bergeron, de la SAAQ. Nos mandataires ne sont ni des policiers, ni des enquêteurs. Rendu là, c'est de l'enquête policière."

" C'est faux, dit George Iny, de l'APA. Vrai que le Québec a un très bon règlement, mais il n'est pas appliqué comme il devrait l'être et il n'y a malheureusement aucune surveillance. La SAAQ a beau dire que ce n'est pas son travail, elle en a pourtant le mandat et elle devrait appliquer son pouvoir d'enquête. Elle ne le fait pas."

M. Bergeron rétorque que la SAAQ rêve depuis longtemps d'un partenariat avec un organisme qui lui permettrait d'authentifier tant les véhicules reconstruits, que les pièces utilisées pour le faire. L'an dernier, la SAAQ a approuvé 11 937 reconstruction.

Mais... toujours rien. C'est à se demander à qui profite réellement la situation. "C'est une vraie patate chaude," avance Michel Perrault, un ancien policier aujourd'hui au service du Bureau d'Assurance du Canada (BAC).

Une solution pourtant si simple...

Pourquoi pas la Sûreté du Québec comme "authentificateur"? Le principal corps policier a certes les spécialistes, mais le dossier "VGA" n'est pas reconnu comme un pavé plus important qu'un autre dans la grande mare du vol automobile. Aussi, le vol automobile au Québec a diminué de plus du tiers depuis 2006 - ce qui est une bonne nouvelle en soi.

Il existe pourtant un moyen simple et efficace d'authentifier les véhicules et leurs pièces. Comment? Par le recours systématique à la banque de données du Bureau d'Assurance du Canada (BAC).

Mais, on s'en doute, n'a pas accès qui veut à ces informations confidentielles. Seuls les enquêteurs du BAC et certains corps policiers y sont autorisés. L'acheteur d'un VGA qui veut s'assurer de la légalité de son acquisition peut lui-même demander une telle authentification, mais il lui en coûtera 450$ (avec taxes).

Et c'est ce que déplorent André Drolet et Michel Perrault. Les deux anciens policiers, aujourd'hui respectivement directeur national du développement des affaires chez Sherlock et enquêteur-identificateur au BAC, croient depuis longtemps que la solution réside dans l'authentification obligatoire pour tous les reconstruits.

"Ça viendrait fermer l'une des plus belles portes encore ouvertes sur le vol automobile," dit André Drolet. "La solution est simple et on la crie depuis 15 ans, renchérit Michel Perrault. Mes patrons au BAC sont allés s'asseoir avec les gens de Québec à plusieurs reprises, mais rien ne s'est jamais concrétisé."

Pour M. Perrault, "la SAAQ a perdu le contrôle." Et pour M. Drolet: "Je suis d'accord avec George Iny de l'APA: les VGA sont très bien reconstruits au Québec. En fait, on fait d'eux d'excellents "police proofs"."


Le Québec "ramasse" la moitié des VGA américains

VGA importés             Amenés           Amenés           Amenés
des États-Unis          au Québec       en Ontario        en C.-B.

en 2010
4512 VGA              2382 (55%)       1107 (25%)         361 (8%)

en 2007*
10 122 VGA           5551 (55%)       2055 (20%)         868 (9%)

* De 2007 à 2010, l'importation de VGA des États-Unis est en baisse de 40% .
Données du Registraire des véhicules importés


Pertes totales et VGA au Québec en 2010

- Pertes totales au Québec: 47 401.

- De ce nombre, seuls 6% sont déclarés "irrécupérables"; la balance est déclarée "VGA".

- S'ajoutent à ces 44 312 VGA québécois:

            - 2648 VGA provenant d'ailleurs au Canada

            - 2456 VGA provenant des États-Unis

            - 16 VGA provenant de l'extérieur de l'Amérique du Nord

- Le Québec "reconstruit" bon an mal an quelque 12 000 véhicules.

- Il roule actuellement au Québec 132 432 automobiles et camions légers reconstruits.

Données de la SAAQ

Copyright © 2015 Nadine Filion. Tous droits r�serv�s.