Quand un proche ne devrait plus conduire...

Dossiers
jeudi, 15 décembre 2011
Renoncer à son permis de conduire, c'est faire le deuil de son indépendance... Comment savoir s'il est temps de mettre les clés de côté? Et comment en parler avec un proche dont l'aptitude à conduire pose problème?

"Je l'avoue, j'ai peur de ma mère... au volant! Pour elle, le clignotant est un truc de plus en plus optionnel. Et elle refuse de porter ses verres, pourtant requis sur son permis. L'autre jour, elle est carrément rentrée dans le mur du garage - "Un petit incident, tu ne vas pas en faire toute une histoire!" - car selon elle, c'est moi qui m'énerve pour rien. Je ne sais plus comment lui faire comprendre les risques qu'elle court et qu'elle fait courir aux autres."

Dans ce témoignage d’un membre CAA, combien d’entre vous s’y reconnaissent? Vous êtes inquiet de voir l'un des vôtres conduire de moins en moins prudemment. Son véhicule reflète d'ailleurs la situation: égratignures par-ci, bosselures par-là... Maladie dégénérative? Simple vieillissement ?

Bien sûr, ça n’est pas arrivé du jour au lendemain. Mais plus le temps file, plus vous vous dites qu’un accident est inévitable (voyez l'encadré ci-dessous: «Des signes qui ne trompent pas»). Comment aborder ce sujet si délicat avec celui ou celle pour qui la voiture, comme pour à peu près tout le monde, est symbole d’autonomie, de liberté? Que lui dire et, surtout, que lui proposer?

Le bon messager

La discussion qui s’impose, ce n'est pas un moment agréable à passer. Mais il est plus important de protéger la vie de quelqu’un que de préserver ses sentiments. Le messager qui lancera le propos devrait être choisi non pas pour sa fermeté ou son éloquence, mais pour sa compassion, son écoute… et sa crédibilité auprès du conducteur interpellé.

Selon des études américaines (Hartford et le Massachusetts Institute of Technology), mieux vaut privilégier, dans l’ordre, le conjoint, le médecin ou les enfants (adultes).

Ce bon messager peut d’abord laisser traîner ce numéro du magazine Touring. Quelques jours plus tard, il peut aborder le sujet avec quelques exemples concrets de ce qui tracasse l’entourage: tel épisode où la personne s’est égarée dans un endroit pourtant familier; les fois où elle a confondu les pédales d’accélérateur et de frein; la difficulté qu’elle éprouve à maintenir la voiture dans sa voie; la collision évitée de justesse, l’autre jour...

Toujours avec empathie, il peut ensuite faire valoir qu’il s’inquiète des capacités de ce parent ou ami à supporter les conséquences d’un possible accident, qu’il en soit responsable ou non. C’est alors le moment ou jamais de lui rappeler à quel point il est important pour ses proches.

Il ne s'agit surtout pas de mettre le blâme sur ses aptitudes à bien conduire mais plutôt sur son état de santé. À la limite, on peut lui dire avec douceur qu’on craint de laisser les enfants et les petits-enfants monter en voiture avec lui…

Il faut s’attendre à des réactions négatives et des «mêle-toi de ce qui te regarde».

On peut suggérer un examen médical ou une rencontre avec un ergothérapeute pour une évaluation en toute objectivité. Si le message ne passe décidément pas, il faudra peut-être procéder à un signalement à la SAAQ, qui peut être fait de façon anonyme. La SAAQ communiquera alors avec le détenteur de permis visé pour qu’il se soumette à un examen médical et, peut-être, à un test de réévaluation de ses compétences.

Solutions intermédiaires

Le renoncement à tout jamais à son permis de conduire est «une expérience traumatisante et pleine de conséquences», reconnaît le Conseil canadien de la sécurité. Après tout, la disparition de ce petit bout de plastique de son portefeuille peut signifier moins de sorties, une dépendance accrue envers les autres, le sentiment d’être un fardeau, une vie sociale restreinte.

Un sondage pour le compte du Conseil des aînés mené en 2006 établissait que, après la santé, la deuxième inquiétude des personnes de 55 ans et plus était la perte d’autonomie. Bien avant les craintes financières et la peur de mourir.

Voilà pourquoi il y a lieu, peut-être, de proposer des solutions intermédiaires à l’abandon pur et simple du permis. Par exemple, ne conduire que le jour et en dehors des heures de pointe, ou encore éviter les autoroutes et les centres-villes achalandés.

Et pourquoi pas un cours de révision ? Le Conseil canadien de la sécurité a élaboré un programme intitulé «55 ans au volant», offert par l’Association québécoise des retraités du secteur public et parapublic (1 800 653-2747, poste 55). Au cours de cette formation d’une journée, on énumère les changements physiques qui affectent les conducteurs plus âgés, on rappelle les règles fondamentales de la conduite et on offre une familiarisation avec les nouvelles technologies automobiles.

Surtout, la formation identifie et corrige les mauvaises habitudes au volant, de façon à pallier les changements inhérents à l’âge. «De nouvelles compétences de conduite préventive alliées à l’expérience font de bien meilleurs conducteurs», dit le Conseil canadien de la sécurité.

Il n’y a pas que la voiture

Avant de penser que toute velléité de liberté disparaît avec le permis de conduire, il faut se rappeler que la voiture personnelle n’est pas le seul choix de mobilité qui existe.

En effet, il y a le taxi – ce qui revient généralement moins cher que de posséder un véhicule automobile. Les transports en commun (train, métro, autobus) dans les régions urbaines, et certains services de transports locaux en région.

Des associations à but non lucratif peuvent également offrir du covoiturage, et, bien sûr, les amis et la famille sont là. La personne est mal à l’aise de solliciter semblables faveurs? Pourquoi pas un échange de services : un accompagnement en voiture… contre un bon petit plat cuisiné!

Autant que possible, il faut laisser le proche faire ses propres choix. Sans doute voudra-t-il graduellement apprivoiser d’autres types de locomotion, en une transition qui lui permettra de découvrir lesquels lui conviennent le mieux. Peut-être découvrira-t-il aussi que de ne plus avoir à conduire aide grandement à réduire l’anxiété.

Par-dessus tout, il faut se mettre à sa place. Un jour, la vieillesse ou la maladie nous fera tous dire adieu à notre chère automobile…

La loi : des examens à partir de 75 ans

Chaque province canadienne se penche à sa façon sur les conducteurs en perte d’aptitudes. Le Québec, comme la Colombie-Britannique, l’Alberta et Terre-Neuve, impose un examen chez le médecin et chez l'optométriste à 75 et à 80 ans, puis tous les deux ans par la suite.

L’Ontario commande des examens écrits et visuels, de même qu’un atelier de groupe tous les deux ans après 80 ans. Une épreuve sur route est également obligatoire pour ceux dont le dossier fait état de plusieurs infractions ou accidents.

La Nouvelle-Écosse impose une épreuve sur route et des examens (écrits et visuels) à tous les conducteurs de 65 ans impliqués dans un accident avec responsabilité.

Au Québec en 2007, selon la SAAQ, 55 % des personnes de 75 ans et plus soumises à des contrôles statutaires ont vu leur permis renouvelé, alors que 39 % se sont vu imposer certaines conditions (conduire de jour, porter des verres correcteurs, rouler dans un rayon de x kilomètres du domicile). Le permis a été suspendu dans seulement 1 % des cas. Et 5% des gens ont renoncé d’eux-mêmes à leur permis.

En vertu du Code de la sécurité routière (article 95), le titulaire d’un permis de conduire doit informer la SAAQ de tout changement relatif à son état de santé, et ce, dans les 30 jours suivant ce changement. «Fournir des renseignements faux ou inexacts peut entraîner la suspension du permis et le paiement d’une amende de 438 $ à 865$», dit Gino DesRosiers, relationniste à la SAAQ.

Des signes qui ne trompent pas

En 2026, un conducteur canadien sur cinq aura plus de 65 ans – contre un sur huit en 2002. Si l’on se fie à aujourd’hui, la moitié d’entre eux conduiront.

De façon générale, les conducteurs âgés sont moins impliqués dans des collisions que la moyenne, dit le Conseil canadien de la sécurité. Cependant, si l’on tient compte du nombre de kilomètres parcourus, ces conducteurs ont plus d’accidents que tous les autres groupes d’âge.

Parmi les principaux facteurs mis en cause, notons les temps de réaction plus longs, le fait de ne pas avoir vu le piéton (ou la voiture ou le panneau de signalisation) et l’interaction déficiente avec les autres conducteurs (telle l’omission de céder le passage).

Il y a d’autres signes qui mettent sur la piste d’un retrait progressif – ou rapide – du permis de conduire. Les voici:

Erreurs de conduite :
-    Confusion dans la circulation intense
-    Incapacité à céder le droit de passage
-    Virage à gauche inapproprié
-    Distraction
-    Incapacité à maintenir une vitesse appropriée
-    Difficulté à rester dans sa voie
-    Hésitation au moment de réagir à la signalisation routière
-    Défaut de s’arrêter aux arrêts ou aux feux rouges
-    Confusion entre les pédales d’accélérateur et de frein
-    Appui fréquent sur les freins
-    Contact avec les trottoirs
-    Quasi-collisions ou collisions

Problèmes psychiques ou physiques
-    Diminution du niveau de confiance
-    Tendance à s'égarer dans des endroits familiers
-    Réaction tardive à des situations imprévues
-    Confusion au moment de prendre une sortie
-    Incapacité à anticiper les situations potentiellement dangereuses
-    Difficulté à se retourner pour bien voir à l'arrière au moment de reculer

Autres signes de perte d’aptitudes
-
    Égratignures ou bosselures sur la voiture, la boîte aux lettres, le garage
-    Infractions au code de la route, contraventions plus nombreuses
-    Coups de klaxon fréquents de la part des autres conducteurs
-    Les amis et la famille ne veulent plus monter à bord…


Quelques conseils
Si un proche ou vous même commettez de plus en plus fréquemment ces erreurs de conduite ou si vous vous reconnaissez dans ces signes de perte d’aptitudes, un cours de révision pourrait vous aider. Aussi, les quelques conseils suivants pourraient vous faciliter la vie :

• Planifiez votre itinéraire en choisissant des trajets que vous connaissez bien. Limitez les distractions à bord (radio, cellulaire, conversations avec les autres passagers) et fuyez les périodes de pointe.

• Évitez de conduire par mauvais temps ou lorsqu’il fait noir. Restez alerte : balayez constamment des yeux les alentours et consultez souvent vos rétroviseurs. Si vous êtes déprimé, fatigué ou en colère, ne conduisez pas. 

• Évitez l’alcool et, si vous prenez des médicaments, renseignez-vous sur leur effet.

• Gardez vos vitres et votre pare-brise propres. Songez à faire installer des miroirs d’appoint dans vos rétroviseurs.

• Enfin, au risque de provoquer l’impatience des autres conducteurs, prenez votre temps. Ne laissez personne vous forcer à faire des manœuvres pour lesquelles vous ne vous sentez pas prêt.

Et avis à ceux qui disent avoir toutes leurs facultés pour conduire : respectez les conducteurs plus lents… c’est peut-être un automobiliste qui profite avidement de ses derniers moments au volant !

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