Mécanique en folie

Dossiers
mercredi, 1 mai 2002
Au Québec, la réparation automobile est trop souvent la chasse gardée des escrocs et des incompétents.

Le jour d’octobre 1998 où il a amené sa camionnette dans un garage de la Rive-Sud de Montréal pour une mise au point de routine, Francesco Ciarrocchi aurait mieux fait de rester couché.

Pour venir à bout d’une bougie récalcitrante, le mécano se met à genoux sur le bloc-moteur et, brandissant un pied-de-biche, somme son client d’accélérer à fond. Soudain, un vacarme épouvantable. «C’est bon, lance nerveusement le mécanicien. Touchez plus à rien.» La bougie a enfin cédé.

Un peu inquiet tout de même, Francesco Ciarrocchi demande à voir la pièce. On la retrouve au fond du garage. Enfin, une moitié seulement.

«Et l’autre bout? s’étonne le client.

—Ben, il a dû se loger dans le moteur, lui répond l’employé. Mais ne vous en faites pas, il va brûler sans problème.»

Ciarrocchi se satisfait de l’explication. Erreur funeste : quelques kilomètres plus loin, le moteur de son camion rend l’âme.

Des histoires comme celle-là, ça court les rues. Au Québec, la réparation mécanique est le terrain de chasse privilégié des incompétents et des escrocs. Année après année, elle se hisse au second rang du plus grand nombre de plaintes déposées à l’Office de la protection du consommateur (OPC) – 1390 plaintes l’an der nier–, après la vente de véhicules usagés et devant les biens et services en habitation.

Fin 2000 début 2001, l’Association pour la protection des automobilistes (APA) a mené une enquête clandestine dans 37 ateliers à Montréal, Toronto et Vancouver.

Chaque fois, on a utilisé une Ford Mustang 1994 dont on avait débranché un tuyau de dépression. Le problème était simple à diagnostiquer et à résoudre: il suffisait de consulter l’ordinateur de bord, puis de raccorder le tuyau. Coût approximatif de l’opération: 70 $, l’APA estimant qu’un mécanicien compétent ferait la réparation en 45 minutes.

A Montréal, les centres de l’auto Sears, Midas, Goodyear et le concessionnaire Ford visités ont corrigé le problème très rapidement, facturant de 33$ à 114$.

En revanche, trois Canadian Tire sur quatre n’ont pas obtenu la note de passage, et la palme revenait à Alex Pneu et Mécanique, qui a échoué le test à deux reprises. Chaque fois, des pièces inutiles ont été installées, les mécaniciens ont mis deux jours à rendre la voiture, la facture s’est élevée à plus de 400$… et la défectuosité n’a pas été réparée!

Au terme de cette enquête, Montréal, avec un taux d’échec de 38 pour 100, s’en est mieux tirée que ses consœurs (62 pour 100 à Vancouver et 56 pour 100 à Toronto)*. Il reste que plus d’un garage montréalais sur trois n’a pas comblé les attentes.

Les Québécois dépensent annuellement plus de trois milliards et demi de dollars dans les quelque 12 000 garages de la province.

Selon George Iny, président de l’APA, le quart de cette somme aurait été inutilement versé. Fraude? Incompétence? «Difficile à dire», admet-il.

Comment s’assurer alors qu’on ne se fait pas avoir? En évitant certains pièges et en tirant la leçon des exemples qui suivent.

Pas sans autorisation

Au milieu de l’hiver 2001, Michel Eid, propriétaire d’un salon de beauté à Montréal, s’aperçoit que le système de chauffage de sa Corolla 1990 est défectueux. Le concessionnaire Toyota chez qui il laisse sa voiture ne lui remet aucun document d’estimation.

Cinq jours plus tard, l’homme d’affaires de 43 ans est informé de l’origine du problème. Comme il veut confier les travaux à son mécanicien, il demande que les pièces retirées pour l’inspection soient remises en place.

Deux longues semaines passent avant que le concessionnaire lui apprenne que sa Corolla a été réparée… et qu’il lui doit 1156$.

Indigné, Michel Eid rappelle qu’il n’a autorisé aucune réparation. On lui propose de réduire de moitié la facture. Il refuse, fort de l’opinion de son garagiste qui soutient que les huit heures de travail facturées sont excessives. Selon lui, 90 minutes auraient suffi…

La Loi sur la protection du consommateur est pourtant claire: le client est en droit d’exiger un devis détaillé pour toute réparation dépassant 100$. Si des travaux s’ajoutent en cours de route, le mécanicien ne peut les effectuer sans obtenir un consentement verbal.

L’enquête menée par l’APA a démontré que la plupart des garagistes respectent ces obligations. Tous les ateliers visités ont fourni des estimations et demandé l’accord du client avant de commencer les réparations.

Mieux encore: ceux qui se sont trompés lors de l’enquête de l’APA ont immédiatement offert un remboursement ou des excuses. Il n’y a pas si longtemps, ils auraient nié les faits…

La prime au rendement: conflit d’intérêt

Certains ateliers facturent des pièces qu’ils n’ont jamais installées; d’autres facturent des pièces usagées au prix du neuf. D’autres encore font payer des réparations qui n’ont jamais été faites ou encouragent leur personnel, par le biais de primes de rendement, à réaliser les travaux en deçà du temps facturé. Le milieu est gangrené par cette pratique.

«Ces primes de «productivité» augmentent le salaire du mécanicien selon le nombre d’heures travaillées ou de pièces installées, explique George Iny, de l’APA. Le mécano a ainsi tout intérêt à rechercher des défectuosités, ce qui permet ensuite de surfacturer le client.»

Les grandes chaînes ne sont pas seules à avoir recours à ces incitatifs. Un ancien professionnel du secteur comptant plus de 10 ans d’expérience a confié à Sélection, sous le couvert de l’anonymat, que beaucoup de concessionnaires n’échappent pas à la tendance: «Les chèques de paie et les conditions salariales sont basés sur la productivité et les quotas. Les besoins du client ne sont pas toujours une priorité…»

«Il s’agit d’un conflit d’intérêt évident… et inexcusable», résume George Iny.

Alexandre Gauthier*, propriétaire d’une Nissan 1993 à la suspension défectueuse, aurait sans doute été victime de ce procédé s’il n’avait pas pris soin de magasiner. Le premier atelier visité, un concessionnaire, suggère le remplacement complet de la suspension. Coût: 2000$. Le second, un garagiste indépendant, estime plutôt que seul un bras de suspension devait être changé. Coût : 400$.

«Je ne sais pas si le concessionnaire a essayé de faire grimper la facture, dit l’automobiliste, mais il n’était absolument pas question pour moi de faire du neuf avec du vieux.»

De vrais faux rabais

Devant de tels écarts de facturation, le consommateur doit se montrer prudent. Gare à ces mécaniciens qui, se disant à la recherche du problème, démontent la moitié du véhicule… pour ensuite réclamer des frais de réassemblage.

Attention également aux garagistes qui facturent une réparation sans mentionner que la garantie du constructeur est encore valide.

Méfiez-vous enfin des offres alléchantes. On vous propose un changement complet de freins à 49,95$ alors que l’opération coûte entre 300$ et 400$ en temps normal?

«Dites-vous qu’il s’agit rarement du prix que vous paierez!» rappelle Rémy Rousseau, éditeur du magazine Le Garagiste.

Ces publicités sont en fait un excellent moyen d’attirer le client dont le véhicule, oh surprise, a soudain besoin d’un tas de réparations!

Un bon truc: exigez qu’on vous remette les pièces remplacées, même si elles sont passablement volumineuses ou enduites de graisse. Elles peuvent servir de preuve en cas de litige.

«Même si vous ne connaissez rien à la mécanique, vous envoyez un signal très clair au garagiste en lui indiquant que vous vous réservez un droit de regard sur le remplacement des pièces» souligne Bruno Provencher, directeur de centres de vérification technique du CAA.

A la porte!

«Le tiers des mécaniciens font du bon boulot, l’autre tiers se débrouillent… et le dernier tiers devraient être mis à la porte», tranche Maurice Levac, directeur général du Comité paritaire de l’automobile pour la région de Montréal.

Les comités paritaires de l’automobile sont des organismes parapublics qui fixent les conditions minimales de travail et émettent des cartes de compétence. Là où ils sont implantés, ils constatent avec inquiétude une main-d’œuvre vieillissante, une relève presque inexistante et un manque flagrant de formation. A preuve: le taux d’échec à ses examens de qualification avoisine les 50 pour 100. L’électronique, bien sûr, cause bien des maux de tête.

«Aujourd’hui, presque toutes les pièces d’un véhicule sont contrôlées par ordinateur, souligne Maurice Levac. En fait, après l’informatique, la mécanique automobile est probablement le domaine qui a le plus progressé au plan technologique.»

«C’est le jour et la nuit entre ce qui se fait de nos jours et ce qui se faisait il y a 20 ans, renchérit Rémy Rousseau. Autrefois, il suffisait d’avoir de bons yeux, de bonnes oreilles et un bon pif…»

Mais, malgré les progrès techniques et la complexité des véhicules, la formation professionnelle en mécanique n’est toujours pas obligatoire. Incapables de décrocher leurs cartes de compétence auprès des comités paritaires, bon nombre de mécanos continuent donc d’apprendre sur le tas. Pour le consommateur, cela signifie que le mécanicien auquel il fait confiance n’a jamais été évalué!

«C’est un peu comme prendre l’avion en sachant que le pilote aux commandes n’a pas son brevet…», résume Rémy Rousseau.

Pour s’en sortir

Grâce à la Loi sur la protection du consommateur, les Québécois sont parmi les mieux protégés en Amérique du Nord. Considérée comme la police des pratiques commerciales, la législation prévoit des recours. Encore faut-il les connaître. Combien savent que toute réparation mécanique est assortie, en règle générale, d’une garantie de trois mois ou 5000 kilomètres?

En cas de litige, il convient de discuter avec le garagiste. Un bon mécanicien n’hésitera pas à admettre son erreur et à apporter les correctifs nécessaires. A preuve: 62 pour 100 des plaintes dont est saisie l’OPC aboutissent à un règlement à l’amiable.

«Les automobilistes préfèrent résoudre le problème avec l’OPC et le commerçant», explique Georges-André Levac, du service des communications de l’OPC.

Moyennant une adhésion, d’autres organismes – APA, CAA, etc. – jouent sensiblement le même rôle avec leurs comités de médiation et leurs services d’arbitrage.

Si une entente à l’amiable est impossible, la Cour des petites créances constitue le dernier recours.

C’est à cette extrémité qu’a dû en arriver Francesco Ciarrocchi. Il a obtenu gain de cause: pour son moteur, le tribunal lui a accordé 1500$, plus 300$ de dommages et intérêts.


L’abc du parfait automobiliste

Toutes les visites chez le garagiste ne se terminent pas par une histoire d’horreur. L’industrie compte des techniciens honnêtes ; il suffit de les dénicher. Pour ce faire, interrogez vos proches, vos collègues. Consultez l’OPC afin de connaître le «profil de l’entreprise», dossier qui fait état des plaintes le cas échéant.

Magasinez. Si le devis vous paraît déraisonnable, recherchez un deuxième avis. Privilégiez les établissements recommandés par le CAA; ils vous garantissent les pièces et la main-d’œuvre pendant un an ou 20 000 kilomètres (quatre fois plus que la loi) et, en cas de litige, une assistance.

Une fois votre choix fait, menez votre propre enquête en débutant par une réparation mineure. Profitez-en pour poser quelques questions sur l’évaluation écrite et voyez de quelle façon on s’occupe de vous.

N’attendez pas que votre véhicule rende l’âme en pleine heure de pointe avant de procéder à une réparation. Comme le souligne l’APA, il est plus difficile de choisir son mécanicien lorsque votre véhicule n’avance plus…

Avant une réparation coûteuse, prenez rendez-vous avec l’un des neuf centres de vérification technique du CAA. Ceux-ci n’effectuent aucune réparation, mais, pour une somme modique, valideront en toute impartialité la pertinence des travaux envisagés. Si des réparations ont déjà été réalisées, on vérifiera si toutes les pièces énumérées sur votre facture se trouvent bel et bien sur votre véhicule – et si elles y ont été installées selon les règles de l’art. Une vérification complète avant l’expiration de la garantie du constructeur peut par ailleurs vous éviter de coûteux ennuis.

Enfin, le mot clé: la communication. «Le garagiste n’est pas le Bon Dieu, conclut Pierre Beaudoin, du CAA. Soyez précis dans la description du problème: dans quelles circonstances il se produit, quels sont les bruits entendus, etc. Cette «liste d’épicerie» fera toute la différence entre vous et celui qui laisse sa voiture sans explication.»

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