Mario Andretti: De pilote à vigneron

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samedi, 24 août 2002
Pendant près d’un demi-siècle, les millisecondes étaient tout ce qui comptait pour Mario Andretti. Mais aujourd’hui, le champion du monde de Formule Un pratique une toute autre discipline, qui exige temps et patience: la fabrication du vin. Entrevue par Nadine Filion.

Acte 1 : un passé méconnu

Mario Gabriele Andretti est né le 28 février 1940 à Montana, ville qui faisait alors encore partie de l'Italie. Après la Deuxième guerre mondiale cependant, la région a été transférée à la Yougoslavie (elle fait aujourd'hui partie de la Croatie). Du jour au lendemain, les Andretti se sont retrouvés prisonniers d'une enclave communiste.

Pendant trois ans, la famille qui compte trois enfants - Mario, son jumeau Aldo et sa grande soeur Anna Maria - espère que les choses reviendront à la normale. En vain. En 1948, le paternel baisse les bras et annonce finalement le retour en Italie. « C'était permis, en autant que nous n'emportions rien avec nous », raconte Mario Andretti.

Malheureusement, ce qui les attend dans leur pays natal ne ressemble en rien au passé : pendant sept ans, les Andretti doivent vivre dans le camp de réfugiés de Lucca, situé au nord-est de Florence. Ils partagent une seule pièce avec plusieurs autres familles, des couvertures faisant office de murs et séparant les quartiers de chacun.

On pourrait croire que Mario Andretti conserve de sombres souvenirs de cette époque. Au contraire. En fait, c'est là qu'est né son amour pour la course automobile: «L'un de mes meilleurs souvenirs d'enfance est cette compétition appelée Mille Miglia, un circuit de 1000 milles à travers l'Italie. L'une des manches se déroulait près de Florence. Mon frère et moi la regardions du bas-côté de la route, avant de retourner à la 'maison', où nous ne parlions que de cela pendant des jours.»

Voilà, le sort en était jeté : «La plupart des enfants savent ce qu'ils deviendront lorsqu'ils seront grands : acteur, astronaute, médecin. Moi, je disais que j'allais courir le Mille Miglia.»

En 1954, les jumeaux Andretti se rendent à Monza afin d'assister au Grand Prix d'Italie. Ce fut une révélation. «Dans ces années-là, rien n'était plus populaire que la course automobile, spécialement avec les Ferrari, Maserati et Alfa Romeo qui se trouvaient en tête des classements.» Aujourd'hui, si vous questionnez Mario Andretti sur ses idoles de course, il vous répondra Alberto Ascari, alors champion du monde de Formule Un (1952 et 1953).

Déterminé à immigrer aux États-Unis, M. Andretti père obtient finalement les visas nécessaires. Encore une fois, la famille doit tout abandonner derrière elle. «Aldo et moi étions dévastés. Plus d'Alberto Ascari, plus de course automobile. C'était la fin du monde, pour nous.»

Le matin du 16 juin 1955, tous embarquent à bord du navire Conte Biancamano, qui ira mouiller quelques jours plus tard dans le port de New York. Ils s'installent à Nazareth, en Pennsylvanie, avec à peine 125$ en poche. Personne ne parle anglais.

Dans la vie, les situations les plus désespérées réservent souvent de belles surprises. Imaginez donc la joie des jumeaux Andretti, alors âgés de 15 ans, lorsqu'ils découvrent, à quelques pas de leur nouvelle résidence... un circuit de course! L'ovale d'un kilomètre accueille des stock cars; on est loin des bolides sophistiqués de la Formule Un mais qu'importe, la vitesse est au rendez-vous. Et surtout, les deux frères peuvent rêver de participer à l'aventure.

Trois choix s'offrent à eux : «Voler une voiture, mais c'était contre nos principes. En acheter une, mais nous n'avions pas d'argent. Ne restait plus qu'une troisième option, la seule viable : fabriquer une voiture nous-mêmes.»

Il a fallu attendre jusqu'en 1959 pour que Mario et Aldo se retrouvent en piste, à bord d'une Hudson Hornet Sportsman Stock Car 1948. Une seule voiture, pour deux pilotes qui en sont à leurs premières armes. Ils s'échangent le volant d'une course à l'autre; les quatre premières épreuves, ils les remportent, à raison de deux chacun.

C'est le début d'une longue carrière pour Mario. Son jumeau a malheureusement vu la sienne écourtée au bout de dix ans, en raison d'un grave accident qui l'a défiguré.

Acte 2 : Mario Andretti, vigneron
Mario Andretti ne se souvient pas exactement à quel moment il est tombé en amour avec le vin, sa deuxième passion. Nul doute qu'il a découvert la bonne chair au fil des courses qui l'ont mené aux quatre coins de la planète, dans des endroits plus exotiques les uns que les autres.

En bon Italien, Mario classe le vin parmi les plaisirs de sa vie : «Ce que j'aime du vin, c'est la conversation qu'il encourage. Les gens qui aiment les vins ont généralement des personnalités fortes et distinctes. Ils voyagent, ils sont intelligents, ils sont de très bonne compagnie.» Mais entre aimer le vin et en fabriquer, il y a tout un monde...

1994 : Mario Andretti annonce sa retraite de la course automobile. La décennie suivante nous prouvera qu'en fait, il n'a jamais vraiment décroché mais cette année-là, l'intention est sérieuse. Pour sa dernière saison en Indy, un Cabernet Sauvignon commémoratif est produit. Voilà qui venait de paver la voie à la création du vignoble Andretti, rue Big Ranch à Napa Valley, région californienne célèbre pour ses nectars.

Ce vignoble, Mario Andretti en a confié la direction à son ami Joe Antonini, ex-président de K-Mart. Il en a remis l'opération entre les mains d'un vigneron d'expérience, Bob Pepi. Il se fait cependant un devoir de prendre part aux vendanges: «J'aime voir l'action, même si on dit que je suis dans les jambes ! J'avoue en savoir bien peu sur la fabrication du vin, mais j'apprends tous les jours.»

Homme d'affaires - il est aussi propriétaire de stations d'essence dans la région de San Francisco, de deux concessionnaires automobiles (Toyota et Mitsubishi) et d'un lave-auto en Pennsylvanie -, il profite de la saison de course automobile pour sillonner les États-Unis et faire la promotion de ses vins. Il a ainsi développé des partenariats avec d'importants clients, tels les lignes aériennes Northwest Airlines, les chaînes hôtelières Fairmount et les grands magasins Neiman Marcus.

Résultat : de 250 caisses produites la première année, le vignoble en produit aujourd'hui 20 000. Ne cherchez pas les vins Andretti au Québec, cependant : au Canada, seules la Colombie-Britannique et l'Ontario ont obtenu l'honneur de les distribuer. Du moins, jusqu'à présent...

Au fil des saisons, le père de trois enfants et grand-père de cinq petits-enfants, toujours impliqué dans le monde de la course automobile, parvient à se réserver quelques jours par-ci par-là pour une courte visite à Napa Valley.

Au coeur des 43 acres de vignes matures du domaine Andretti trône une villa toscane de 3000 pieds carrés, avec fontaines et balustrades de fer forgé qui lui rappellent son pays d'origine. À l'occasion, il accueille les visiteurs de marque dans le salon de dégustation, au son de sa musique préférée : l'opéra.

Entonnant quelques mesures de la Bohème ou de la Traviata, il hume l'un des huit vins façonnés par la maison - Cabernet Sauvignon, Merlot, Pinot Noir ou encore Sauvignon Blanc. Qui a dit que le vin et la conduite automobile ne pouvaient faire bon ménage ? L'important est de ne pas les consommer simultanément !

Mario Andretti - Son palmarès
  Quatre fois champion USAC Indy et CART (1965, 1966, 1969, 1984)
•  Champion du monde F1 (1978)
•  Gagnant du Daytona 500 (1967)
•  Gagnant du Indy 500 (1969)
•  Trois fois gagnant des 12 Heures de Sebring (1967, 1970, 1972)
•  Nommé « Pilote de l'année » à trois reprises, dans trois décennies (1967, 1978, 1984)
•  Nommé « Pilote du quart de siècle » (1992)
•  Nommé « Pilote du siècle » (2000) par le magazine Racer

Mario Andretti en quelques mots:
•  Ses voiture : «Une Mercedes S500, une Lamborghini Diablo VT, une Corvette Z06, un Toyota RAV4 et une fourgonnette Ford.»
•  Ses circuits de course préférés : «Monaco, Kyalami (Afrique du Sud) et Road America (Elkhart Lake, Wisconsin).»
•  Ses passe-temps : «Piloter mon ultraléger, faire de la motoneige, jouer au tennis, faire du ski nautique et de la moto.»
•  Ses émissions télé : «Who Wants To Be A Millionnaire et les nouvelles internationales de fin de soirée.»
•  Un simple plaisir de la vie : «L'aéroport de Knoxville, au Tennessee. On y trouve des centaines de chaises berceuses pour les passagers en attente d'un départ.»
S'il n'avait pas été un pilote automobile : «J'aurais été un pilote de chasse.»

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