Le projet de loi électrique du ministre Heurtel vise la mauvaise cible

Dossiers
mardi, 7 juin 2016
En forçant la main aux constructeurs pour qu'ils offrent plus d'autos électriques au Québec, le gouvernement se trompe de cible. Voici pourquoi il est à côté de la plaque.

D’abord, les faits

Voici les faits: jeudi dernier, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC, pour faire court) a déposé un projet de loi visant à instaurer un système de crédits et de redevances. Comme pour le marché du carbone, mais qui s’adresserait exclusivement aux constructeurs d’automobiles.

Une telle proposition provinciale est une première au Canada, mais pareilles législations Zéro Émission existent déjà aux États-Unis. La pionnière a été adoptée dans les années 1990 par la Californie – et pas toujours menée avec succès, malgré ce qu’on en dit.(À ce sujet, voyez notre Saviez-vous que ci-dessous).

Mais revenons à nos moutons québécois pour dire que l’annonce de jeudi fait suite à la Politique énergétique 2016 dévoilée par le ministre David Heurtel, en avril et qui, d’ailleurs, englobait le Plan d’électrification des transports 2015-2020 présenté par le premier ministre Couillard à l’automne dernier. (Ouf!)

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Même vague, le projet de loi 104 est déjà contesté

Retenez bien le numéro de ce plus récent projet de loi, le #104, qui vise «l’augmentation du nombre de véhicules automobiles Zéro Émission au Québec, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et autres polluants.»

Parce que si pareille loi est adoptée, elle obligerait essentiellement les constructeurs automobiles à ce qu’un pourcentage de leurs véhicules neufs vendus (et qui devront être immatriculés au Québec) soient entièrement ou en partie électriques, qui plus est «rechargeables au moyen d’une source externe».

Du coup, on éliminerait du calcul les simples hybrides telle la Toyota Prius, dont la nouvelle et 4e génération réussit pourtant un (autre) tour de force de frugalité. Heureusement, les voitures à l’hydrogène seraient positivement comptabilisées.

L’an #1 serait 2018, mais le nombre de crédits accordés pour telle ou telle technologie, et déterminés selon des «paramètres, règles de calcul, conditions et modalités de paiement» fixés par le gouvernement, ne serait publié une première fois que le 1er juin 2019.

Ce qui fait dire à l’industrie, par les voix unies de la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec (CCAQ, 850 concessionnaires), de l’Association canadienne des constructeurs de véhicules (ACCV) et des Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada (CMAC), que la mesure «viendra miner les efforts, au lieu de soutenir les politiques» (vertes), ajoutant que «l’expérience démontre que les ratios obligatoires de vente ne fonctionnent pas dans d’autre pays».

Les trois organisations soulignent aussi que même sans pareille législation, «le Québec fait déjà mieux que les juridictions qui ont des lois à émission zéro» au nord-est des États-Unis.

Lisez notre reportage complémentaire Forcer la main aux électriques: le gouvernement rêve en couleurs ici.

Combien? Qui? Comment? Mystère!

Pour le moment, de ce projet 104, on n’en sait guère plus sur des détails pourtant importants: quelles seront les cibles «forcées» aux constructeurs? Et ceux qui ne les atteindront pas devront verser combien en pénalités?

On sait toutefois que ces redevances seraient versées au Fonds vert. Et que les constructeurs visés seraient ceux qui vendent en moyenne, annuellement au Québec, au moins 4500 véhicules neufs.

En théorie, les plus petits constructeurs seraient affranchis de l’obligation. Mais une disposition du projet de loi leur permettrait de «volontairement» adhérer à l’aventure. Gageons que le constructeur exclusivement électrique Tesla serait du nombre, question de profiter des crédits qui s’échangeraient entre constructeurs…

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Avant d’imposer, faudrait… inspecter, puis disposer

Les véhicules neufs à essence d’aujourd’hui, versus ceux d’il y a cinq ans, sont définitivement plus «propres» – de 4% à 20% selon les catégories et les motorisations, dit Dennis DesRosiers, grand manitou de la statistique automobile au Canada.

Mais le parc québécois de cinq millions de véhicules de tourisme est constitué au tiers d’automobiles qui ont plus de 11 ans. Des autos qui, «à chaque kilomètre, polluent de 20% à 30% plus que les nouveaux véhicules,» affirme le président de DesRosiers Automotive Consultants.

Voilà pourquoi, même si elle émane d’une industrie automobile qui y trouverait son compte, la proposition suivante est des plus logiques: commencer par débarrasser nos routes des vieux véhicules les plus polluants et les remplacer par des véhicules plus frugaux. Et nous ajouterions: voire pas du tout.

De fait, une belle solution traîne dans les cartons… de l’Assemblée nationale et ce, depuis 2012. Cette année-là, le ministère de l’Environnement d’alors (MDDEP) déposait le projet de loi 48 pour forcer l’inspection et l’entretien des véhicules usagés – d’abord ceux âgés de huit ans et plus, et sur le point d’être vendus à une tierce partie.

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Nous avions alors fouillé les pour et les contre de pareilles réglementations qui ont déjà cours depuis deux décennies en Colombie-Britannique et en Ontario – vous pouvez lire ici notre dossier d’il y a quatre ans:

Inspection des émissions de véhicules: quand il faut forcer la main

Programmes d’inspection des véhicules: le jeu du vrai ou faux

Émissions automobiles: mieux vaut entretenir que guérir

Certes, il y a des embûches aujourd’hui bien connues à ce type de programmes d’inspection. Mais plusieurs éléments positifs s’en extirpent, à commencer par des véhicules mécaniquement en ordre, qui brûlent donc moins de carburant et, par conséquent, qui polluent beaucoup moins, mais qui sont également plus sécuritaires… et qui conservent mieux leur valeur de revente.

Malheureusement, pareil projet de loi est toujours dans les limbes provinciales, même si l’an dernier encore, la Table québécoise de concertation sur l’environnement et les véhicules routiers a (re)demandé à ce qu’on lui donne suite.

La requête semble être tombée dans l’oreille de sourds.

Saviez-vous que…

… même si la norme californienne est souvent citée en exemple environnemental, elle a été maintes et maintes fois été revue depuis ses débuts dans les années 1990, parce que les premières cibles, puis les suivantes n’avaient pas été atteintes.

La dernière modification en lice se lit dans notre tableau ci-dessous et prêtez-y bon oeil: car si le Québec calque son système de crédits et de redevances sur les ratios annuels californiens, ça voudrait dire qu’en 2020, les constructeurs auraient l’obligation au Québec d’écouler une voiture électrique ou une hybride rechargeable pour chaque dix voitures à essence vendues.

Soit 20 fois plus qu’actuellement.

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