Nadine Filion (N.F.) : Pourquoi tant d’efforts dans la conduite autonome et… pourquoi chez Volvo?

Marcus Rothoff (M.R.), directeur Conduite Autonome, Groupe Volvo Car : Depuis 2007, Volvo a l’objectif Vision 2020: que personne ne soit tué ou sérieusement blessé dans un véhicule Volvo à compter de 2020*. Ça, c’est la première étape. La suivante, à plus long terme, c’est d’en arriver à des véhicules qui ne “crashent” plus. Et la conduite autonome est l’un des principaux chemins pour y parvenir.

Nous croyons par ailleurs que la conduite autonome est une étape importante de la mobilité. L’étalement urbain fait que de plus en plus de gens partagent le même espace sur la route – pourquoi ne pas cesser d’en être victime et utiliser notre temps “automobile” de meilleure façon?

Nous croyons aussi que de plus en plus de gens veulent rester connectés – un désir qui n’est pas toujours compatible avec la mobilité individuelle. Certains vont continuer de l’être (connectés), que ça soit légal ou non. Il est de notre devoir, comme constructeur mais aussi comme société, de répondre à leurs demandes.

N.F. : Justement, pour la société en général, quels sont les principaux avantages de la conduite autonome?

M.R. : Au-delà d’un temps de qualité passé derrière le volant à travailler ou à relaxer, il y a l’aspect sécurité. Nos statistiques** indiquent que de 90% à 95% des collisions sont causées par l’erreur humaine, nous travaillons donc, avec la conduite autonome, à éliminer cet aspect.

L’environnement y gagne aussi: nos simulations en parcours urbains, où les arrêts sont nombreux, montrent que la conduite optimisée pour l’économie de carburant peut faire épargner jusqu’à 50% à la pompe.

Enfin, nous savons que la conduite autonome améliore le flot de circulation, parce que les ordinateurs sont beaucoup plus rapides et précis que les humains. Nous n’avons pas encore suffisamment de données pour quantifier la chose, mais nous mettons beaucoup d’attentes dans cet aspect de l’expérience.

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N.F. : Que dites-vous aux gens qui ne veulent pas perdre le contrôle de leur conduite?

M.R. : Nous comprenons que la voiture, c’est le plaisir de conduire, c’est la personnalisation, c’est l’indépendance, c’est le contrôle de son temps. Mais nous savons aussi qu’être pris dans les bouchons ne contribue pas au plaisir de conduire. Il y a l’angoisse d’arriver en retard, l’impression de perdre son temps… Il y a aussi ces trajets monotones où là aussi, on a l’impression de perdre son temps… Qui est contre le fait d’avoir la liberté de choisir quand conduire… ou pas?

Bien sûr, pour que la technologie soit acceptée, il faudra qu’elle se positionne à un prix acceptable. Peut-être deux fois ce qui est actuellement demandé pour l’option du régulateur de vitesse intelligent***?

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N.F. : En Amérique, les autorités sont frileuses à l’idée d’amender la législation, afin de permettre à la technologie de se développer. Au contraire, le gouvernement suédois et la ville de Göteborg s’impliquent comme partenaires dans le programme Drive Me. Pourquoi?

Anders Lie (A.L.), de l’Administration suédoise des Transports : Nous pensons que les voitures autonomes vont jouer un rôle très important, il nous faut donc penser à long terme et préparer l’avenir.

Parce que les voitures autonomes manoeuvrent de façon plus précise et qu’elles communiqueront un jour entre elles, elles pourront rouler à la fois plus près du pare-choc qui précède et dans des voies plus étroites. Voilà qui nous permettrait de transformer une autoroute à trois voies en une à quatre voies et ainsi augmenter la capacité, sans devoir construire de routes supplémentaires. Par contre, nous pourrions devoir aménager des voies spécifiques pour éviter les complications majeures que les voitures autonomes rencontreraient.

C’est fou de penser à tout ce qui pourra être et c’est pourquoi nous voulons être de la partie.

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N.F. : Vous travaillez à la voiture autonome depuis quelques années déjà, quels sont les plus grands défis?

Mattias Brännström (M.B.), développeur de fonction, Sécurité active, Groupe Volvo Car : Il nous faut savoir encore davantage sur ce qui se passe autour de la voiture. Les technologies d’aide à la conduite existent déjà, mais on a besoin d’ajouter de l’exactitude, pour que soit infaillible la prise en charge et le contrôle par le véhicule.

L’hiver constitue un autre grand défi. Il y a d’abord la chaussée glissante, qui force la voiture à suivre de plus loin et à freiner plus avant. Mais il y a aussi la visibilité: en pleine tempête de neige ou dans le brouillard, si l’oeil humain ne peut rien discerner, les caméras, radars et autres technologies de reconnaissance ne pourront pas le faire non plus!

La solution? Peut-être d’établir une connexion avec les prévisions météo et ainsi alerter le conducteur, afin qu’il sache qu’il devra prendre les commandes de sa voiture plutôt que d’y lire un livre.

Enfin, nous devons savoir comment réagissent les autres à la vue d’une voiture en mouvement et au volant de laquelle le conducteur épluche son journal ou travaille sur son ordinateur. Et comment interagir avec les piétons si le contact visuel ne s’établit pas?

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D’où la mise en place du projet-pilote Drive Me: nous voulons de vrais clients qui affrontent la vraie circulation et de vraies conditions, pour bien identifier les problèmes – et les résoudre.

Comme nous ne pouvons penser que tout se déroulera toujours à la perfection, il nous faut aussi développer des solutions qui parent à toutes les situations. Par exemple, une technologie peut discerner l’incapacité d’un conducteur à reprendre le contrôle de sa voiture et commanderait alors à cette dernière de s’échapper du flot de la circulation et de trouver à se garer dans un endroit sécuritaire.

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N.F. : On a récemment perdu un avion, ce que l’on croyait impossible. Pourrait-on “perde” sa voiture autonome que l’on a envoyée se garer d’elle-même?

M.R. : Nous devons nous assurer que la connectivité soit infaillible et pour ce, nous munissons la voiture non pas d’un, mais bien de deux ordinateurs qui font exactement la même chose. Et il faut tout prévoir, jusqu’aux batteries qui pourraient se décharger. La sécurité, d’abord et avant tout – c’est notre héritage.

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N.F. : Imaginez qu’une voiture autonome soit impliquée dans une collision… alors que son conducteur n’en avait pas le contrôle. Qui sera responsable: le conducteur ou le constructeur?

M.R. : La responsabilité incombe toujours au conducteur, même s’il ne conduit pas. Par contre, dans l’éventualité où c’est le système qui a failli, nous serions responsables – et c’est pourquoi nous devons faire en sorte qu’en pareille situation, la voiture puisse s’immobiliser d’elle-même de façon sécuritaire.

Une chose est sûre: nous devrons relever les données. Il nous faudra pouvoir déterminer si, par exemple, l’accident a été provoqué par un événement qui, de toute façon, aurait été impossible à éviter.

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M.T. : Sachez que nous sommes encore loin de la voiture qui peut se rendre du point A au point B dans toutes les conditions – quelles soient météo ou d’ébriété…
(NDLR: Rappelons que la limite d’alcoolémie au volant en Suède est de 0,02%)

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N.F. : Vous êtes le constructeur “sécurité” par excellence. Et Google, qui donne aussi dans la voiture autonome, est le “positionneur” par excellence. Existe-t-il une quelconque collaboration entre les deux entités?

M.R. : Non. Nos philosophies sont d’ailleurs fort différentes. Nous mettons l’accent, avec nos technologies actuelles, sur l’évitement des accidents et la voiture autonome est pour nous une autre étape vers cet objectif. Au contraire, Google veut une voiture autonome capable de plein de choses, ensuite ils pensent à l’aspect sécurité.

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N.F. : Qui arrivera sur le marché les premiers?

M.R. : Difficile à dire. Google présente une foule de bonnes possibilités avec ses voitures qui manoeuvrent au coeur de la circulation urbaine, alors que nous nous concentrons plutôt là où nous croyons que ça fait du sens: les navetteurs. Évidemment, notre ambition est d’être les premiers…

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  • ‘*‘La Suède a le meilleur bilan routier de la planète, avec un taux de 3 décès par 100 000 de population. En comparaison: Allemagne (4,7 décès), Japon (5,2 décès), France (6,4 décès), Canada (6,8 décès), États-Unis (11,8 décès), Russie (15,6 décès) et Chine (20,5 décès). – Organisation de la Santé mondiale, Sécurité routière 2013
 
  • ‘**’ Afin de toujours améliorer la sécurité de ses produits, Volvo compte sur une équipe d’experts en collisions qui analyse systématiquement tous les accidents routiers qui surviennent en Suède et impliquant un des véhicules de la marque. Depuis plus de 40 ans, quelque 45 000 accidents (transportant 65 000 passagers) ont ainsi été examinés.
 
  • ‘***’ Prix du régulateur de vitesse intelligent chez Volvo Canada: 1500$ (incluant d’autres technologies d’aides à la conduite comme la détection de piétons/cyclistes.