Forcer la main aux électriques: le gouvernement rêve en couleurs...

Dossiers
mardi, 7 juin 2016
Forcer les constructeurs à offrir plus d'autos électriques, c'est comme bannir la cigarette des terrasses ou imposer des paquets dissuasifs. Pendant ce temps, les consommateurs fument... ou n'achètent pas d'autos électriques.

Québec se trompe de cible

Aucun gouvernement ne vous empêchera de fumer, malgré les avantages dont tout le monde profiterait – système de santé compris. Plutôt, les autorités ordonnent des photos-choc pour l’emballage des paquets, bannissent la cigarette des établissements, puis des portiques et ultimement des terrasses…

De même, aucun gouvernement, sauf peut-être celui suédois qui s’y essaie depuis une décennie, ne vous forcera à bannir le pétrole de votre quotidien.

Encore moins vous forcer à acquérir des véhicules 100% électriques, les seuls à véritablement pouvoir se targuer d’être zéro émission, mais qui même après cinq ans de réelle existence, souffrent encore de leur autonomie réduite, de longues recharges, d’une disponibilité aléatoire des bornes d’alimentation et de coûts d’acquisition près du double versus des modèles similaires à essence.

Des bâtons dans les (mauvaises) roues

Bref, le gouvernement ne peut pas vous obliger à acheter électrique. Mais il peut diablement mettre des bâtons dans les roues… des constructeurs, se donnant au passage une vertu environnementale qui ne peut faire de mal à son capital politique.

Vrai que les voitures électriques se sont multipliées à vitesse grand V, ces dernières années. Aux premières Nissan Leaf et Mitsubishi i-Miev débarquées en début de décennie, une vingtaine d’autres se sont depuis ajoutées.

Pensez BMW i3, Kia Soul EV, smart fortwo Electric Drive, Tesla Model S et Model X, Chevrolet Spark EV, Ford Focus Electric, sans compter celles qui n’ont pas encore traversé la frontière canado-américaine jusqu’à nous: Fiat 500e, MINI E, Mercedes-Benz Classe B Electric Drive, Volkswagen e-Golf.

Et ajoutons ces hybrides rechargeables, telles la Chevrolet Volt et la Toyota Prius plug-in qui, bien qu’elles comptent sur un moteur à essence pour prendre la relève d’une autonomie épuisée, sont aussi considérées comme des électriques.

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Les ventes d’électriques ne lèvent pas

Le hic, c’est que mondialement – et pas qu’au Québec, vous remarquerez – les ventes de voitures électriques ne lèvent pas.

L’an dernier, elles n’ont représenté qu’un tout petit 1% sur les 80 millions de véhicules neufs écoulés aux quatre coins de la planète.

Et oui, cette statistique englobe aussi les hybrides rechargeables.

Ce qui fait dire à Mark Nantais, président de l’Association canadienne des constructeurs de véhicules (GM, Ford et FCA): «Le Québec se trompe de cible en concentrant ses énergies – et ses pénalités vers les constructeurs, parce que ceux-ci n’ont aucun contrôle sur ce que les consommateurs choisissent d’acheter, une fois dans la salle de montre.»

Lisez notre reportage complémentaire Le projet de loi électrique du ministre Heurtel vise la mauvaise cible ici.

Le Québec achète déjà «plus vert»

Historiquement, le Québec achète plus petit et plus frugal que n’importe qui d’autre sur le continent.

Mais voilà: malgré des encouragements financiers atteignant les 8000$ chez nous et bien qu’elles soient presque deux fois plus populaires, per capita conducteur, que dans toutes les autres provinces canadiennes, les voitures électriques représentent moins de 1% du marché québécois (sur 451 805 véhicules neufs vendus l’an dernier).

De fait, au moment d’écrire ces lignes, ce sont très exactement 9163 voitures électriques ou hybrides rechargeables électriques qui sont immatriculées dans la Belle Province, rapporte Mme Audry Chaput, porte-parole pour la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Soit moins de 0,2% de notre parc automobile.

Est-ce qu’on en manque vraiment? Ça dépend

À ceux qui vous diront que ces statistiques auraient été plus reluisantes si les concessionnaires avaient obtenu de leurs constructeurs davantage de modèles à livrer, Jacques Béchard, président de la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec (CCAQ), répond que c’est inexact: «Plusieurs concessionnaires ont plusieurs véhicules électriques ou hybrides en inventaire…»

Cela dit, quelques coups de téléphone nous apprennent que les besoins en approvisionnement sont comblés – ou pas, selon qu’on parle d’une voiture 100% électrique comme la Nissan Leaf ou d’une hybride rechargeable comme la Chevrolet Volt.

En effet, chez Nissan Gabriel d’Anjou, le responsable «électrique» Martin Abram dit ne plus avoir de souci de ravitaillement depuis des années, ajoutant: «Ce n’est pas plus de voitures électriques dont on a besoin, mais de plus de rabais!»…

… alors qu’au contraire, chez GM West Island, le directeur des ventes Oren Weizman affirme n’avoir historiquement qu’une Chevrolet Volt pour quatre ou cinq clients. La cadence s’est cependant ralentie le mois dernier avec l’arrivée imminente de la Chevrolet Bolt?.

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Pendant ce temps, les Québécois achètent… des camions.

C’est qu’avec les prix du carburant qui ont dégringolé l’an dernier, les automobilistes québécois se sont plus que jamais laissé tenter par les camions. Les ventes de ces véhicules généralement plus gourmands que les voitures ont cru de 18% (2015 vers 2014), une augmentation par ailleurs deux fois plus élevée que pour le reste du Canada, dans un marché québécois en hausse de «seulement 6%».

Qu’arrivera-t-il une fois «la plogue tirée»?

À vous le choix quant aux cibles énoncées par le gouvernement provincial depuis un an;

  • que le parc automobile québécois compte 100 000 véhicules électriques d’ici 2020;
  • que 15,5% des ventes annuelles de véhicules neufs soient zéro émission en 2025, soit plus ou moins 77 000 voitures électriques par année;
  • ou qu’un million d’électriques circulent dans la Belle Province d’ici 2030.

Dennis Desrosiers, le grand manitou de la statistique automobile au pays, estime que si pareilles cibles sont agressives, elles sont possibles… mais pour l’ensemble du Canada.

Mais pour que le Québec atteigne à lui seul ces objectifs, il faudra que ses automobilistes achètent plug-in ou électrique de 30 à 55 fois plus qu’actuellement.

Est-ce qu’ils sont prêts, eux qui, depuis 2010, en ont acheté moins de 10 000 unités, malgré les milliers de dollars en rabais gouvernementaux?

Et qu’adviendra-t-il lorsque Québec tirera la plogue sur ces rabais?

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Peut-être la même chose qu’en Europe, là où des pays comme la Norvège et la Hollande ont vu les ventes d’électriques plonger en chute libre, comme le rapporte l’International Council on Clean Transportation, l’organisation à l’origine du scandale de Volkswagen.

Et vous, prévoyez-vous l’acquisition d’une voiture électrique ou rechargeable? Faites-nous part de votre réponse sur notre page Facebook .

Saviez-vous que…

… depuis ses débuts en 2010, la Nissan Leaf a internationalement trouvé un peu plus de 200 000 preneurs. Pour mettre cette statistique en perspective, sachez que 200 000 exemplaires, c’est le nombre de Toyota Prius, l’hybride la plus populaire au monde, qui se vend par année.

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