Automobiles et poids lourds : la route, ça se partage!

Dossiers
jeudi, 1 juin 2006
Imaginez-vous un instant dans la peau d’un camionneur qui manœuvre un poids lourd de 40 tonnes sur la première voie de l’autoroute. Sur votre droite, une sortie d’autoroute. Sur votre gauche, un automobiliste s’amène à vive allure. Soudain, celui-ci vous coupe presque devant vos roues, au détriment de toute sécurité, avant de freiner pour mieux s’engager dans la bretelle de sortie.

Des situations du genre, les camionneurs en vivent tous les jours – voire à toutes les cinq minutes lorsqu’ils roulent en zones métropolitaines. Et la dangereuse manœuvre d’introduction est malheureusement une histoire vécue pas plus tard que cet été par Martin Thérien, chef de groupe pédagogique au Centre de Formation en Transport Routier, une école de routiers professionnels située dans les Laurentides.

Ce jour-là, M. Thérien a pu éviter l’accident, parce que l’instinct lui a dicté comment allait réagir cet automobiliste, trop pressé pour rouler derrière lui en attente de sa sortie. « Ce gars a carrément joué avec les poignées de sa tombe. S’il y avait eu un obstacle dans la bretelle, il n’aurait pu le voir puisque mon camion lui faisait écran et ça aurait été la tragédie. »

Dans les campagnes de sensibilisation (vous vous souvenez de « La route, ça se partage »?), on a dit et redit que les camions ne composent pas avec les mêmes distances de freinage que les véhicules de tourisme. Et que leurs angles morts sont beaucoup plus importants que pour une voiture. Eh bien, c’est encore et toujours vrai.

« Le poids lourd a besoin d’un plus grand espace vital, explique M. Thérien. La règle veut qu’on laisse l’équivalent d’une seconde de distance pour chaque trois mètres de longueur d’équipement. C’est près de huit secondes pour un camion de 23 mètres, voire plus si les conditions routières sont défavorables. »

Il n’y a pas que les automobilistes qui doivent respecter les distances de freinage. Les camionneurs doivent aussi faire avec la règle du freinage « dans la distance de vision permise ». Un banc de brouillard se lève? Ne soyez pas surpris si le poids lourd roule très lentement; il lui faut pouvoir s’immobiliser dans le court espace où il peut encore apercevoir la route. « Le chauffeur de distingue qu’à dix mètres devant lui? Il lui faudra sans doute réduire sa vitesse jusqu’à 30 km/h, » soutient M. Thérien. Avis à ceux qui s’impatientent derrière…

Si certains automobilistes sont agressifs envers les camions, la grande majorité sont surtout inconscients, voire négligents, dit encore M. Thérien. « Ils n’ont aucune idée de l’ampleur du danger, de ce qui pourrait arriver à l’instant où 40 000 kilos doivent subitement s’arrêter. »

En fait, le chef de groupe pédagogique affirme « qu’au moins une fois dans sa vie, tout automobiliste devrait être dans l’obligation de monter à bord d’un poids lourd. » Il réaliserait alors, par exemple, qu’un camionneur qui se fait couper et qui doit ralentir subitement devra rouler jusqu’à trois kilomètres avant de reprendre sa vitesse de croisière. Frustrant, non?

Sans doute est-ce utopique, mais inscrire une balade imposée en poids lourd au programme du cours de conduire (un cours qui, tant qu’à rêver, redeviendrait obligatoire) serait peut-être le seul moyen de développer une plus grande courtoisie envers les camionneurs.

Une courtoisie comme il en existait autrefois… « Du temps de mon père, aussi camionneur, les conducteurs qui nous voyaient entrer sur l’autoroute se rangeaient dans l’autre voie, se souvient M. Thérien. Ils nous laissaient le champ libre pour manœuvrer. » Aujourd’hui, une telle politesse est aussi rare qu’un gagnant à la 6/49, avouez…

Vrai que les camionneurs ne sont pas tous des exemples de parfaits professionnels. Ils sont humains, ils ont aussi leurs sautes d’humeur. Et se faire couper la route à deux poils de la calandre, avec tous les dangers que cela comporte, n’est pas pour arranger les choses. « Mais si vous faites la route entre Montréal-Québec et que vous croisez un camionneur qui n’a pas d’allure, demandez-vous combien d’autres vous avez croisé sans histoire… »


Le plus grand fautif? L’automobiliste!

Comment partager la route avec les poids lourds? Tout est dans la prévoyance.
« Il faut d’abord se rappeler que dans les accidents impliquant un camion lourd, l’automobiliste est le plus souvent en cause, dit Yvon Lapointe, directeur de la sécurité à CAA-Québec. Et généralement, la tragédie est imputable à une méconnaissance de la réalité du camionneur. »

Les règles du partage de la route entre véhicules de tourisme et poids lourds sont simples. Si elles étaient suivies, la situation s’améliorerait substantiellement. Êtes-vous prêt à faire votre part?

Voici comment.

  • Tenez-vous loin des camions. Comme ils font écran, ils vous empêchent de bien discerner ce qui se passe devant, alors que vous devriez voir au loin. Si un incident survient, non seulement vous ne pourrez le repérer, mais vous ne pourrez l’anticiper. Aussi, évitez de rester trop longuement à la hauteur d’un poids lourd; en cas de catastrophe, vous risquez d’être pris en sandwich, sans porte de sortie aucune.
  • Assurez-vous d’être vus. Si vous n’apercevez pas les yeux du camionneur dans son rétroviseur, c’est que celui-ci ne peut vous voir. Faites le test la prochaine fois que vous prendrez le volant!
  • Ne suivez pas un camion de trop près. S’il n’est pas chargé, sa capacité de freinage est, croyez-le ou non, supérieure à la vôtre. « Advenant une situation d’urgence, vous pourriez bien avoir déjà embouti le poids lourd avant même de réaliser qu’il a subitement freiné, » soutient M. Lapointe.
  • Vous souhaitez dépasser un routier? Faites-le rapidement, de façon à vous trouver aussi peu que possible dans son angle mort. Un appel simple de phares peut aussi vous aider à mieux vous faire voir. « En même temps, nuance M. Lapointe, assurez-vous de respecter les limites de vitesse. Si vous êtes sur l’autoroute et que vous roulez à 100km/h derrière un poids lourd, la manœuvre de dépassement ne devrait pas être nécessaire… »
  • Vous avez effectué votre dépassement? Avant de revenir dans la voie que vous avez quittée, assurez-vous d’apercevoir entièrement et complètement le camion dans votre rétroviseur intérieur. Ainsi, le chauffeur vous verra aussi. Sachez que celui-ci ne peut voir un véhicule qui le précède de près, surtout s’il s’agit d’une petite voiture. De même, « si vous devez freiner, ajoute M. Lapointe, jetez de fréquents coups d’œil à votre rétroviseur afin d’observer comment le camion se comporte derrière vous. »
  • Le poids lourd met son clignotant vers la droite, mais semble empiéter vers la gauche? Non, il ne fait pas erreur; il amorce simplement une manoeuvre de virage à droite et il s’octroie l’espace nécessaire pour le faire. Ne soyez pas de ces automobilistes qui tentent de se frayer une chemin par la droite, au risque de finir écrabouillés…
  • Un fardier vous suit de trop près? « Certes, voilà qui est dérangeant, mais il n’y a malheureusement pas grand-chose à faire, si ce n’est de changer de voie pour tenter de s’en débarrasser, dit M. Lapointe. Si la circulation est trop dense pour ce faire, n’hésitez pas à quitter la route, pour mieux y revenir quelques instants plus tard. En autant que possible, faites tout ce qui est en votre pouvoir pour vous libérer de ce handicap qui distrait votre conduite. »

Dans le partage de la route, autant les automobilistes que les camionneurs ont un rôle à jouer. « Il ne faut pas tout attendre du camionneur, l’automobiliste peut prendre les devants en laissant le passage, en gardant ses distances, en collaborant. »

Après tout, qui veut sincèrement se confronter à un camion qui pèse jusqu’à 20 fois plus que son véhicule?

 

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