À 0.05, on ne devrait même pas conduire!

Dossiers
dimanche, 20 décembre 2009
Vous poussez les hauts cris depuis que le Québec a annoncé vouloir abaisser, comme presque partout ailleurs, sa limite d’alcoolémie au volant à 0,05g? Ne lisez pas ce qui suit. Je répète : ne lisez pas ce qui suit. Parce que vous risquez d’y apprendre qu’à 0,08g, vous n’êtes déjà plus en état de prendre le volant.

Avez-vous visionné le reportage de l’émission J.E. du mois dernier (novembre 2009) qui relate une expérience sur l’alcool au volant, menée dans le simulateur de CAA-Québec?

Trois cobayes se sont prêtés au jeu. À jeun, Valérie, Yannick et Philippe ont prouvé être de bons conducteurs qui ne faisaient pas d’erreur.

Mais voilà, on leur a donné suffisamment à boire pour qu’ils soufflent dans la «baloune» presque 0,05g par 100ml de sang. Du coup, leur concentration au volant a diminué, leur conduite est devenue erratique et le simulateur a chevauché la ligne blanche plus souvent qu’à son tour.

Cela aura pris trois verres de vin pour que Valérie rate un virage, quatre verres pour que Yannick perde momentanément la maîtrise de son véhicule. Et on n’en est qu’à 0,05g, rappelez-vous…

À cinq verres pour Yannick et Philippe, quatre pour Valérie, les conducteurs «soufflent» 0,07. Autrement dit, ils se trouvent toujours sous l’actuelle limite légale au Québec.

Yannick le dit clairement : «Je ne suis pas en état de conduire; j’ai la bouche pâteuse et les jambes molles.» L’expérience au simulateur montre qu’il a raison : il heurte un piéton…

Valérie, elle, fera grimper la voiture sur un trottoir, avant de provoquer deux accidents. «Maudit cave», lance-t-elle à un automobiliste qu’elle dit «sorti de nulle part».

Quant à Philippe, son regard est fixe derrière ce volant qu’il ne tient plus que d’une main. Son agressivité monte au fur et à mesure que les pépins surviennent et il multiplie les erreurs. «Fuck», commentera-t-il.

Bref, « plus le taux d’alcoolémie augmente et plus les décisions sont émotives, ce qui rend le conducteur imprévisible, rapporte Yvon Lapointe, directeur en sécurité routière chez CAA-Québec. À 0,05g, nos conducteurs éprouvaient certaines difficultés. Mais à 0,08g, ils sont incapables de prendre le volant en toute sécurité. »

Juste une suspension administrative…

Bon, êtes-vous convaincu maintenant qu’à 0,08g/100ml de sang, les capacités sont altérées et qu’on est suffisamment amoché pour ne pas prendre la voiture?

Et dire qu’on est là à invectiver la ministre des Transports, Julie Boulet, qui veut resserrer la réglementation entourant l’alcool au volant à 0,05g… Jean-Marie De Koninck, le plus grand défenseur de la sécurité routière au Québec s’il en est un, vous dira pourtant qu’entre 0,05 et 0,08, les risques d’être impliqué dans un accident mortel sont cinq fois plus grands.

Mais le projet de loi 71, déposé au début du mois de décembre à l’Assemblée nationale et qui pourrait être adopté aussi tôt qu’en début d’année, risque de manquer de dents.

Oui, oui : il manque de dents. On n’y parle pas d’abaisser la limite légale de 0,08 à 0,05g. On est pas mal moins mordant que ça : on ne fait qu’avancer une mesure intermédiaire pour qu’un conducteur pris sur le fait voit son permis suspendu… pour 24 heures.

Autrement dit, on parle d’une simple suspension administrative. Pas de dossier criminel, pas de point d’inaptitude, pas de saisie de véhicule.

Ce n’est certes pas la mer à boire, une suspension de 24 heures, alors voulez-vous bien me dire pourquoi on crie tant au scandale?

Les récidivistes… aussi!

Je les entends,  les « cinq à sept-eux ». Vous savez, ceux qui prennent deux ou trois verres sans même avaler ne serait-ce qu’une petite bouchée… Je les entends dire qu’on devrait plutôt se concentrer sur les récidivistes de l’alcool au volant.

Ce qu’ils oublient, c’est qu’on fait déjà pas mal à ce chapitre. Les sanctions ont pris du galon au fil des années – faudrait maintenant que les peines de prison respectent la loi mais ça, c’est une autre histoire.

Et de toute façon, se concentrer sur les récidivistes ne signifie pas qu’il faille oublier tous les autres aspects de la problématique. Après tout, est-ce qu’on cesse d’arrêter les voleurs de voitures parce qu’il faut arrêter les tueurs?!

Ceux qu’ils tuent ne sont pas comptabilisés…

Vous dites qu’il est très petit, le nombre de conducteurs décédés sur nos routes au Québec alors qu’ils présentaient un taux d’alcoolémie entre 0,05 et 0,08g. Moins de 5%...

Mais il faut savoir que ces statistiques tiennent uniquement compte des conducteurs décédés. Autrement dit, elles ne tiennent pas compte des autres victimes que l’accident aurait pu faire. Et encore moins de ces victimes décédées par la faute d’un conducteur éméché... qui, lui, ne s’est pas tué.

Vrai qu’on peut critiquer les autorités pour ne pas avoir, sous la main, des statistiques plus réalistes. Tout au plus la ministre Boulet parle-t-elle de 45 vies sauvées chaque année.

Quarante-cinq vie, c’est énorme sur un bilan routier de 557 morts (en 2008).

Avouez, il serait vain d’attendre des chiffres plus précis quand on sait que la plupart des pays dits civilisés imposent comme limite légale le 0,05g ou moins (sauf les États-Unis, le Mexique et l’Angleterre, qui sont toujours à 0,08g).

Ainsi, en France, pays de la bonne chair et du bon vin, la limite légale est à 0,05. Même chose pour la plupart des pays d’Europe, de même que pour l’Australie. En Allemagne, terre du houblon, la limite légale est encore plus basse : 0,03. En Chine, en Inde et au Japon aussi. En Suède, en Norvège et en Pologne, elle est à 0,02. En République tchèque, elle est à… 0,00.

Le Québec fait office de laxiste parce qu’il est encore le seul au Canada à permettre au-delà du seuil de tolérance de 0,05 imposé par les autres provinces. Mais la récréation est terminée; il est plus que temps de rejoindre le reste du monde – et sans rechigner, s’il vous plaît!    

Vivement le 0,00

Qu’on se le dise haut et fort : le projet de loi 71, s’il est adopté, n’est pas en train de forcer la population du Québec à ne pas boire. Buvez tant que vous voulez! Mais de grâce, ne prenez pas le volant. Prenez un taxi, désignez un chauffeur, rentrez à pied, couchez à l’hôtel…

Le message qui devrait passer, en ces jours de festivités, est que si l’on boit, l’on ne conduit pas. Celui qui se demande s’il peut conduire est déjà dans le pétrin et devrait opter pour une autre solution de raccompagnement.

Si on était fins, on se préparerait même pour le prochain projet de loi qui permettrait de mettre le Québec sur la carte de la sécurité routière : celui où le taux d’alcoolémie au volant serait de… zéro point zéro.

En attendant, les cours de conduite obligatoires au Québec, de retour en janvier prochain, devraient intégrer un volet « alcool » où les participants sont invités à boire, avant de sauter dans un simulateur.

Ils comprendraient vite fait que de souffler le 0,05g, ça vient après pas mal plus de verres qu’on ne le pense et que les réactions au volant sont alors pas mal moins intelligentes qu’on ne le voudrait…

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